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opérer la jonction nécessaire entre les divers tronçons ; il ne reste donc que le chemin du Grand-Luxembourg, qui a été l’objet d’un traité formel de cession entre les actionnaires belges et la compagnie française. Au premier bruit de cette négociation, il y a trois mois, le gouvernement belge, répondant à une interpellation dans les chambres, avait déclaré, il est vrai, qu’il ne sanctionnerait pas une cession de ce genre ; on ne persistait pas moins dans cette œuvre de fusion, où le Grand-Luxembourg était représenté par son président, un homme d’état de la Belgique, un ancien ministre, M. Victor Tesch, et on persistait d’autant plus qu’on croyait sans doute venir à bout des résistances du gouvernement ou éluder les difficultés. C’est alors que le cabinet de Bruxelles, pressé par la conclusion de l’affaire, un peu froissé peut-être de cette espèce de défi, s’est hâté de porter aux chambres un projet de loi qui ne lui donne pas de facultés nouvelles, puisqu’il a incontestablement, comme représentant de l’état, les pouvoirs nécessaires pour empêcher les fusions, mais qui régularise ces pouvoirs en l’autorisant à séquestrer au besoin les chemins de fer récalcitrans, et en réservant d’ailleurs la décision des tribunaux appelés à prononcer sur la validité des transactions des compagnies. De là est venu tout le bruit, parce qu’à travers la question de chemin de fer on a cru voir la politique, et tout a fini par la confusion.

Le gouvernement belge a-t-il eu tort, a-t-il eu raison ? La question peut être discutée à perte de vue. Les considérations économiques dont s’est prévalu le président du conseil de Bruxelles, M. Frère-Orban, ces considérations ne sont certainement pas incontestables, et elles ont trouvé plus d’un contradicteur en Belgique même. Est-il vrai que la ligne de Rotterdam en France et en Suisse menace le port d’Anvers ? Est-il vrai que la compagnie de l’Est, en devenant la maîtresse du Grand-Luxembourg, tienne à sa merci, par ses combinaisons de tarifs, les intérêts belges qui fourmillent dans les bassins de la Meuse ? — Mais la ligne de Rotterdam n’enlève pas au port d’Anvers sa position privilégiée et tous les autres moyens de communication dont il dispose. La compagnie française substituée à la société du Luxembourg belge n’est pas affranchie des statuts acceptés par les concessionnaires primitifs ; elle ne peut se permettre en matière de tarifs que ce que la compagnie belge peut faire elle-même aujourd’hui ; elle ne pourrait innover sans être rappelée à ses obligations. De plus il est bien clair que, par cette espèce de prohibition, le gouvernement belge se donne un assez mauvais vernis ; il a l’air de rompre avec une tradition de libéralisme commercial et industriel. Il n’encourage pas les capitaux étrangers, et par le fait, en refusant à des chemins comme le Grand-Luxembourg et le Liégois-Limbourgeois, qui ne font pas bien leurs affaires, en refusant à ces chemins la possibilité de se sauver par leur propre initiative, par une fusion où ils trouvent leur avantage, il se met dans l’obligation de les sauver par le rachat ou par