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REVUE. — CHRONIQUE.

de fausses nouvelles, sur le roi de Hanovre, sur l’électeur de Hesse, dont les riches dotations étaient employées à soudoyer le télégraphe, et tout récemment encore, dans la chambre des soigneurs à Berlin, le chancelier de la confédération du nord se faisait le garant des intentions conciliantes de tous les cabinets ; il chatouillait même hardiment et familièrement la France, qu’il appelait un peuple a très susceptible sur le point d’honneur ; » il s’indignait qu’on abusât sur les desseins de la Prusse « une nation aussi forte, aussi guerrière et néanmoins aussi pacifique que la nation française, » qu’il y eût des esprits assez criminels pour « pousser à la guerre deux grands peuples qui, placés au centre de la civilisation européenne, désirent tous deux vivre en paix, et n’ont aucun intérêt essentiel qui puisse les séparer. » Tout allait bien. Malheureusement ce jour-là même, comme on parlait de paix à Berlin, comme on allait oublier la Grèce, une petite loi était volée à Bruxelles qui remettait les esprits en campagne, et c’est ainsi qu’en peu de temps nous sommes passés de l’incident roumain à l’incident grec, de l’incident grec à l’incident belge. Nous cheminons à travers des incidens, et le dernier est toujours le plus grave en attendant les autres.

Qu’est-ce donc au fond que cet incident belge dont on a fait tant de bruit pendant huit jours ? Certes, à ne prendre les choses qu’en elles-mêmes, il n’y a pas de quoi soulever cette poussière aveuglante de polémiques et agiter l’univers. C’est une simple question de chemins de fer, qui peut avoir son importance sans mettre en jeu véritablement les destinées du monde. Il y a quelque temps, la compagnie française de l’Est a éprouvé le besoin de s’étendre, de compléter son réseau intérieur par des ramifications extérieures. Elle était dans son droit, elle agissait en grande compagnie industrielle. Elle a commencé par acquérir le chemin de Guillaume-Luxembourg, qui traverse le grand-duché appartenant au roi de Hollande et qui aboutit aux portes de Spa, sur le territoire belge. Jusque-là nulle difficulté, la fusion est accomplie depuis un an ; mais ce n’était qu’une entrée de jeu conduisant à une plus vaste combinaison. D’un côté, la compagnie française, poursuivant son travail d’extension, se mettait en mesure d’acquérir le chemin qui, à travers le Luxembourg belge, va jusqu’à Bruxelles en passant par Namur. D’un autre côté, elle négociait, ou, sans paraître elle-même, elle faisait négocier auprès du gouvernement belge pour obtenir une concession qui devait lui permettre d’aller de Spa au chemin de fer liégeois-limbourgeois, disposé à traiter aussi avec elle, et de gagner de cette façon le réseau néerlandais, avec lequel elle s’était déjà entendue. Ainsi, par cette double combinaison, la compagnie française de l’Est allait être en possession de la grande voie allant de Luxembourg à Bruxelles et d’une ligne ininterrompue reliant les ports hollandais, le grand-duché, la France et la Suisse.

Sur ce dernier point, il n’y a pas réellement de question, puisque le cabinet de Bruxelles a refusé la concession qu’on lui demandait pour