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cette source assurée d’occupations, la compagnie était libre de s’en ouvrir d’autres, soit dans notre pays, soit dans les pays étrangers. Les ouvriers qu’elle employait étaient accourus du dehors, beaucoup d’entre eux avec leur famille. Tout moyen d’existence leur fut subitement ravi. Après avoir attendu quelques jours, quelques semaines, aussi longtemps que le permettaient leurs ressources ou plutôt le crédit, soutenus par l’espérance que le chantier rouvrirait ses portes, ils s’enfuirent de toutes parts. Le petit commerce, qui subvenait aux besoins journaliers de cette population, fut anéanti. Aujourd’hui la solitude est partout dans le quartier de Méans, touchant à Penhouët, où s’entassaient naguère les familles ouvrières. Longtemps les logemens avaient manqué. Des habitations nouvelles, construites en général sur des plans bien entendus, s’achevaient au moment de la fermeture du chantier. Elles se dégradent avant d’avoir été occupées. L’herbe croît au seuil des portes, et les volets disloqués pendent le long des murailles.

Ce n’est pas seulement l’intérêt de Saint-Nazaire, c’est l’intérêt des constructions maritimes en France qui doit faire désirer que les travaux puissent reprendre le plus tôt possible à Penhouët. Cet établissement était l’un des mieux situés de tout le continent européen, et il avait été magnifiquement outillé. Une part lui a été réservée par les récentes stipulations touchant les paquebots du Pacifique. Il en résulte une obligation absolue de le remettre en activité pour la Compagnie transatlantique, qui s’est rendue cessionnaire de l’établissement anglais à des conditions fort avantageuses. Les créanciers ont sacrifié 75 pour 100 sur ce qui leur était dû, espérant trouver dans la prompte réouverture des chantiers, alors annoncée bien haut, un moyen de se récupérer d’une partie de la perte. L’intérêt de la compagnie semble d’ailleurs lui commander d’entreprendre ici, non pas, comme il en est en ce moment question, la construction d’un seul navire, ce qui accroîtrait démesurément les frais, mais celle d’un plus grand nombre. Pour une œuvre ainsi conçue, les lumières et l’expérience de ses agens à Saint-Nazaire lui offrent les meilleures garanties. On n’aurait pas du reste à pousser les entreprises aussi loin qu’autrefois et à ramener là 2,000 ouvriers. Les juges les plus expérimentés estiment qu’avec la moitié on posséderait tous les élémens d’une exploitation fructueuse. La réouverture de Penhouët contribuerait en une large mesure à abréger la crise temporaire que traverse la nouvelle ville de Saint-Nazaire, et qui a réagi si cruellement sur toutes les entreprises qu’elle avait vues naître.

Les vicissitudes de la vie industrielle, se joignant aux erreurs de la spéculation sur les terrains, avaient ainsi ébranlé le sol quand