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qui donne aux motifs choisis un admirable relief en même temps que la netteté des arêtes révèle une étonnante sûreté de ciseau. L’art de l’ornementation n’a jamais été poussé plus loin. — L’ensemble est plus dégradé par le temps et la végétation que ce que nous avons vu à Angcor; mais il subsiste des morceaux complets et parfaits comme au premier jour. Ce qui devait ajouter et ajoute encore aujourd’hui à la splendeur de ce monument, c’est le site qu’on lui a donné pour cadre. Du pied de la montagne, les constructions s’élèvent peu à peu en droite ligne jusqu’au moment où les ondulations du terrain s’arrêtent brusquement contre une immense muraille de rochers à laquelle le sanctuaire est en quelque sorte adossé, à 150 mètres environ au-dessus du niveau du lac. Ces rochers, dont les sommets couverts d’arbres se dérobent à la vue, sont d’un aspect saisissant. Enduits par places de peinture rouge sur laquelle la piété des fidèles a collé des feuilles d’or en l’honneur de Bouddha, crevassés, rugueux, laissant suinter des sources murmurantes, ils se dressent impérissables et tristes témoins de la splendeur passée des temples qui semblent sortis de leurs flancs. Nous avons retrouvé quelques statues, mais elles sont très imparfaites. Les artistes khmers, incomparables quand il s’agissait d’enfanter le plan d’un gigantesque édifice ou d’étendre sur chaque pierre des murailles une merveilleuse dentelle, ne savaient pas copier le corps humain. Sans leur demander d’atteindre à notre idéal, réalisé dans l’art grec, on pourrait exiger d’eux qu’ils eussent essayé de traduire les formes qu’ils avaient sous les yeux. C’est le contraire qui est arrivé. La raideur des membres et du corps, la gaucherie des poses, l’épaississement des traits, en un mot l’exagération de toutes les imperfections physiques, font de presque toutes ces statues de grossières caricatures. Rien ne surprend plus péniblement le visiteur de ces ruines que de voir dans un bas-relief un personnage grotesquement sculpté au milieu d’arabesques d’un travail exquis et d’une inimitable perfection. Chose singulière, tous les êtres animés semblent représentés à l’état d’ébauche et participent de cette impuissance. L’éléphant seul est traité d’une manière supérieure. En miniature ou de grandeur naturelle, qu’il soit le centre d’un médaillon, ou que, sculpté dans le soubassement d’un édifice, il ait l’air d’en supporter le poids, on le retrouve tel qu’il est dans la nature, effrayant par sa force, charmant par sa douceur, et l’homme qui en a fait un dieu semble s’oublier lui-même pour transmettre son image à la postérité.

Derrière un rideau d’arbres touffus, nous découvrîmes deux monumens qui se font pendans des deux côtés de l’avenue, au pied du péristyle qui mène au sanctuaire. C’étaient peut-être des palais