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de notre conscience se trouvaient servir les intérêts de nos estomacs.

Nous vîmes enfin se dessiner devant nous, comme des colosses prêts à nous barrer le passage, les montagnes de Bassac. Elles se détachaient en noir sur le ciel empourpré, tandis que le sommet rayonnait encore des derniers feux du jour. Nous arrivions à notre première station dans le Laos. C’est là que nous devions attendre les lettres qui avaient dû être envoyées de Pékin à Saigon depuis notre départ, et auxquelles seraient joints les derniers courriers de France. Les maladies avaient été nombreuses, quelques-unes même fort graves, parmi les membres de la commission et dans les rangs de l’escorte, mais nous étions encore au complet. Les prédictions sinistres ne s’étaient point réalisées, et nous puisions tous dans notre confiance une ardeur nouvelle. Il eût été fâcheux de s’éloigner davantage sans avoir-entre les mains des passeports qui nous seraient peut-être inutiles, mais dont peut-être aussi nous aurions un jour amèrement regretté l’absence. Il fallait donc attendre et s’installer le mieux possible en prévision d’un séjour de trois mois.

Bassac était autrefois la capitale du royaume laotien, le plus voisin du Cambodge. Il ne s’est affranchi de la suzeraineté de ce dernier que dans le courant du XVIIIe siècle. D’après des renseignemens assez vagues que nous avions recueillis chemin faisant, des ruines importantes subsistaient encore pour attester la domination des Khmers. Notre premier soin fut de nous y faire conduire. Après deux heures de marche à travers les rizières, nous nous trouvâmes en face d’une pièce d’eau rectangulaire dont le plus grand côté peut avoir 600 mètres environ. Cette régularité indique à coup sûr la main de l’homme; mais déjà nous connaissions trop nos Laotiens pour leur attribuer la création de ce petit lac, admirablement situé au pied de la montagne, qui vient se refléter dans ses eaux tranquilles. Ce lac lui-même doit être une ruine. A quelques mètres en effet de l’extrémité ouest, dissimulés par des touffes de bambous et des broussailles épaisses, nous découvrîmes les degrés d’un perron monumental, sur la plate-forme duquel vient aboutir une longue avenue dont une couche épaisse d’humus recouvre presque partout les larges dalles. Des colonnes monolithes, terminées en forme de mitre épiscopale, la bordaient des deux côtés; elle conduit au pied d’un escalier très élevé, bien conservé, mais fort raide, comme ceux qu’on remarque à Angcor. Une terrasse entourée de balustres couronnait cette première rampe, à partir de laquelle une série d’escaliers étages et interrompus par de larges terrasses, suivant les dispositions du terrain, conduisait à un sanctuaire, véritable bijou enchâssé dans la montagne. La pierre est fouillée à une profondeur