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élevée, dans la partie la plus voisine du ciel et du jour. Ce saint des saints se réduit aujourd’hui à quatre très médiocres statues de Bouddha, au pied desquelles les bonzes arrivent par les avenues qui, coupant à angle droit les deux enceintes, aboutissent aux quatre escaliers monumentaux du massif central. A l’exception des surfaces horizontales, pas une pierre de ce monument colossal n’est demeurée sans ornement. Ces sculptures sont des merveilles dues au ciseau d’incomparables artistes dont les inspirations sont gravées pour jamais sur la pierre, mais dont les noms sont effacés de la mémoire des hommes.

« L’homme le plus fait pour les arts, lisant à Paris la description la plus sincère du Colisée, ne pourrait s’empêcher de trouver l’auteur ridicule à cause de son exagération, et pourtant celui-ci n’aurait été occupé qu’à se rapetisser et à avoir peur de son lecteur. » Cette réflexion de Stendhal me revient en mémoire, et m’avertit de m’en tenir à cette esquisse rapide du beau temple d’Angcor. D’après une tradition presque légendaire, il aurait été fondé à la suite d’un vœu fait par un roi lépreux qui résidait dans la ville voisine, où sa statue se voit encore. Il remonterait à une date moins éloignée que les principaux monumens de la capitale, et il est dans un état de conservation relative qui rend cette opinion très vraisemblable; mais rien jusqu’à présent n’a permis de déterminer avec quelque certitude l’époque où il a été construit. Parmi les rois qui ont régné sur le Cambodge, beaucoup de ceux qui se tenaient pour des souverains illustres, — et cela, comme bien on pense, arrivait souvent, — changeaient l’ère cambodgienne et s’efforçaient même d’apporter des modifications dans l’alphabet. Il résulte de là une confusion au milieu de laquelle il est presque impossible de se reconnaître. On ne saurait douter néanmoins que le développement de l’art architectural dont ce temple semble la plus haute expression n’ait coïncidé avec l’épanouissement complet du bouddhisme chez ce peuple khmer, chassé peut-être de l’Inde au moment de la grande persécution religieuse. En célébrant leur foi nouvelle par des œuvres impérissables, ces émigrés leur ont imprimé le cachet des monumens de la patrie, dont au fond du cœur ils avaient emporté l’image.

Quant à la ville elle-même, Angcorthôm, Angcor la grande, les murailles seules en sont intactes. Elles sont larges de près de 3 mètres; les fortes assises, en pierres de taille posées l’une sur l’autre sans chaux ni ciment défient les siècles, et résistent aux assauts plus redoutables encore d’une végétation vigoureuse. Des chaussées jetées sur de larges fossés conduisent aux portes de la ville, gardées par cinquante géans de pierre, sentinelles énormes et grimaçantes