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peuples au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit; » mais c’est ici que se montre le défaut de critique de la méthode théologique. La place de ce verset rejeté à la fin du livre, la mention unique, soit dans les Évangiles, soit dans les Actes des Apôtres, d’une formule du baptême qu’on ne rencontre plus que chez les écrivains ecclésiastiques à partir de Justin, l’exacte ressemblance de cette formule avec le rituel de l’église, ont rendu le texte de Matthieu suspect d’interpolation, non-seulement à certains savans contemporains, mais encore à beaucoup de théologiens protestans. Sans se croire le droit de rien affirmer positivement là-dessus, la critique ne peut s’empêcher de faire remarquer combien ce texte tranche avec toute la suite du livre, et comment il arrive sans être préparé par ce qui précède. Un livre dont on ne sait ni l’auteur ni la date a pu d’ailleurs subir des remaniemens qui expliquent l’origine d’un texte pareil, sans recourir à l’hypothèse trop simple des interpolations. Il est vrai que l’exégèse catholique n’a pas de ces perplexités. Elle prend les textes tels que les lui donne la théologie orthodoxe, et ne se demande point si l’on peut asseoir tout un dogme sur un texte dont l’authenticité est douteuse. Quant aux premiers versets du quatrième Évangile et à tous ceux de même force qu’il peut contenir pour la thèse de la Trinité, il y a certainement là une riche matière à exploiter pour une exégèse orthodoxe. Seulement, M. l’évêque de Grenoble nous permettra de le lui dire, cela nous rappelle les vers dorés et autres prétendus livres de Pythagore où l’éclectisme alexandrin croyait retrouver sa propre doctrine. Il faut une préoccupation dogmatique bien forte pour ne pas voir que l’Évangile de Jean, avec son profond sentiment mystique et son puissant esprit métaphysique, appartient à une autre école de théologie que la pure tradition évangélique. Là en effet se dessine déjà dans ses traits principaux le dogme du symbole de Nicée, encore si peu visible dans les Évangiles précédens.

Et alors même que tous ces textes trouveraient grâce devant la critique, il est encore bien difficile d’y voir autre chose que les élémens tout à fait insuffisans d’un dogme qui a eu besoin, pour se former, s’organiser, se formuler, d’une élaboration puissante, et aussi d’une autre tradition que celle des livres saints. Il y a loin de la mention du Père, du Fils, du Saint-Esprit, à un dogme qui fait de ces trois noms les trois personnes qui constituent la nature divine, une et triple tout ensemble. En vain M. l’évêque de Grenoble, à l’exemple des docteurs de l’église primitive, fait-il les plus grands efforts de raisonnement pour déduire toute la Trinité de la formule baptismale, en montrant comment les fonctions des personnes divines correspondent aux vertus du baptême. Ce travail