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élevée pour qu’il soit nécessaire, avant de la boire, de la laisser exposée quelque temps à l’air. Les sources, les puits et les r’dirs ne se trouvent guère que sur le cours des rivières, et c’est avec raison qu’on a nommé celles-ci les grandes routes du Sahara.

On marche souvent plusieurs jours sans rencontrer une source; il faut alors emporter de l’eau avec soi. Si l’on n’avait comme bêtes de somme que des chevaux ou des mulets, plus de la moitié de leur charge serait déjà occupée par l’eau nécessaire à leur propre consommation. Qui donc alors porterait les hommes, les munitions et les vivres? Pour nous permettre de lutter contre le désert, la nature prévoyante nous a donné le chameau. Sans cet utile auxiliaire, une grande partie du globe échapperait infailliblement aux explorations de l’homme. Le chameau est cependant un animal laid, disgracieux, peu propre en apparence par sa conformation à faire une bête de somme. Il est difficile à charger et à diriger; il n’est pas non plus aussi robuste qu’on le croit généralement. Les changemens de température lui sont nuisibles. Ses grands pieds plats ne lui permettent guère de marcher que sur un terrain uni ou sablonneux ; sur un sol humide, il glisse, et se casse souvent la jambe au milieu du canon, qui est singulièrement étroit pour supporter un aussi grand corps. Ce n’est pas un agréable compagnon de route; son odeur est rebutante, son bêlement plaintif est insupportable. Il n’en est pas moins dans le désert la providence du voyageur. On dirait qu’il a conscience des services qu’il rend lorsqu’on le voit calme et majestueux poser avec lenteur son large pied sur le sable brûlant. Il se sent chez lui, il est véritablement le maître, je dirais presque le roi du désert. A quoi donc doit-il cette royauté que son extérieur ne justifie guère? A la précieuse faculté qu’il a de marcher plusieurs jours sans boire. N’étant pas obligé de porter pour lui-même une provision d’eau, il porte celle des autres; là est son inappréciable mérite. Quant à sa nourriture, on ne s’en préoccupe jamais. Il la cherche et la trouve tout en cheminant. Le moindre brin d’herbe desséché, la moindre racine, tout est bon pour lui. Le hasard l’amène-t-il en un lieu d’abondante pâture, il ne s’arrête pas; mais, allongeant son cou à droite et à gauche, il fauche tout ce qui est à la portée de ses dents. Si le lendemain la fortune moins favorable lui refuse jusqu’aux grossiers alimens dont il sait se contenter, il va chercher au fond de son magasin intérieur son modeste repas, et bientôt le mouvement régulier de ses mâchoires frottant l’une contre l’autre vous apprend que l’heure du souper a sonné pour lui.

La nécessité de se munir de vivres pour toute la durée de l’expédition et d’eau pour un nombre de jours qui va souvent jusqu’à quatre constitue la principale difficulté des colonnes du sud. C’est