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est supérieure à la morale de l’Évangile, qui n’est fondée que sur un sentiment. La morale moderne est donc supérieure à la morale chrétienne de toute la supériorité d’un principe sur un sentiment. Tel est le raisonnement. Voici les textes inexplicables qui l’énoncent :

« La morale évangélique ne parle que le langage du sentiment et de l’amour, tandis que la morale moderne parle le langage plus sévère des principes, du devoir et du droit. L’âme chrétienne connaît la charité,... la conscience moderne connaît la justice, c’est-à-dire le respect de la personne humaine[1]. On a beau dire : Où donc est la morale supérieure à l’amour? Je réponds : Un sentiment n’est jamais un principe. Nul sentiment, si beau, si pur, si fort qu’il soit, ne vaut un principe. En fait de loi morale, rien n’est supérieur, rien n’est égal à la justice. Voilà pourquoi nous plaçons la morale moderne encore au-dessus de celle de l’Évangile[2]. » Tels sont les textes. Mais que signifie tout ceci? que signifie cette supériorité d’une morale qui a pour principe la justice, sur la morale évangélique, sinon que la morale évangélique n’a pas pour principe la justice?

Mais où donc se trouve l’énoncé de la morale évangélique? Dans quels chapitres l’Évangile résume-t-il sa morale? Dans le Discours sur la montagne. Personne n’ignore cela. Tout chrétien et tout homme instruit sait par cœur ce discours. Or que penser d’un homme, je veux dire d’un esprit qui définit et juge la morale de l’Évangile en supprimant le Discours sur la montagne avec le reste de l’Évangile? Avant de parler de la morale évangélique, il fallait, ce me semble, lire les chapitres où la morale de l’Évangile est exposée.

Prenons le code de la morale chrétienne. Écoutez. Voici le principal discours de Jésus-Christ. Il ouvre toute son âme (aperuit os suum), et il dit :


« Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. (Matth., V, v, 4.)

« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume du ciel est à eux. (v. 8.)

« Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir. (v. 17.)

« Les moindres détails de la loi sont éternels. (v. 18.)

« La pratique de la loi est la mesure de la grandeur des hommes. (v 19.)

« Je vous le dis, si votre justice n’est pas plus vraie que celle des

  1. La Religion, p. 427.
  2. Ibid., p. 428.