Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas la preuve certaine qu’elle tient aux racines mêmes de l’humanité? Mais cette preuve historique ne semble-t-elle pas confirmée par les expériences décisives de la psychologie elle-même? Si la religion n’est qu’une illusion de l’imagination, une erreur naïve de l’enfance de l’esprit humain, comment persiste-t-elle, à l’âge de la raison virile, chez tant d’hommes aussi distingués par l’intelligence que par la science? Le sentiment religieux ne serait-il pas un besoin de l’âme, alors même que le symbole ne satisfait pas la raison? La foi n’aurait-elle pas ses droits sur la nature humaine aussi bien que la science, en s’adressant à un autre côté de cette nature? En un mot, si les religions passent, la religion elle-même ne serait-elle pas éternelle, soit comme objet de l’imagination et de l’intelligence, soit comme objet du sentiment? Si les formes s’évanouissent après une durée plus ou moins longue, le fond n’est-il pas immuable[1]? »

À cette lecture, j’ai cru, monsieur, que c’était là votre opinion, et tout lecteur de cette page raisonnable va le croire aussi bien que moi.

On croit que l’auteur va montrer sous toutes les formes appelées religions une religion unique, fondamentale, ou plutôt la religion nécessaire, éternelle et universelle. Vous commencez, en effet, à montrer, dans un chapitre intitulé Méthode historique, toute l’histoire témoignant en faveur de la religion, et puis, dans un autre chapitre intitulé Méthode psychologique, vous montrez toute la psychologie venant porter le même témoignage. Mais survient le chapitre intitulé Explication, qui termine tout par la conclusion que voici : « En résumé, la religion et la philosophie répondent à deux momens, deux états distincts de la vie intellectuelle. Le caractère dominant de l’état religieux, c’est le règne de l’imagination... : âge de l’imagination, âge religieux; âge de la raison, âge philosophique. La pensée humaine accomplit peu à peu la révolution qui doit la faire passer d’un pôle à l’autre,... de même que dans l’histoire de l’individu, dans l’histoire générale de l’humanité, le mouvement intellectuel commence par la religion et finit par la philosophie[2]. » Après quoi vous montrez comment toute religion disparaîtra devant la science, malgré tous les regrets et la tristesse des âmes.

Ainsi, monsieur, lorsque vous affirmez au début que « la critique de notre siècle ne croit pas que tout soit dit quand on a rangé l’institution religieuse parmi les superstitions de l’ignorance ou les

  1. La Religion, p. 7.
  2. Ibid., p. 314 et 315.