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cette expression rarement exacte, parallèlement du nord au sud; elles naissent dans les derniers contre-forts de la chaîne de montagnes dont la partie orientale porte le nom de Djebel-Amour, et viennent se perdre soit dans des lacs intérieurs, soit dans des bas-fonds qui prennent le nom de daïas, soit enfin dans les sables, qui unissent leurs efforts à ceux du soleil pour en absorber jusqu’à la dernière goutte.

La violence des eaux qui s’y pressent au moment des grandes pluies leur a donné en certains endroits un caractère tout particulier. Le torrent semble s’être creusé violemment un lit entre deux rives horizontales. Si les berges n’étaient irrégulièrement fouillées et déchiquetées par le flot, en les voyant si hautes et si escarpées, on croirait plutôt à un fossé fait de main d’homme qu’à une œuvre de la nature. Dans les terres sablonneuses au contraire, le lit se répand souvent sur une largeur de quelques centaines de mètres, et, se divisant en plusieurs bras, forme de petits îlots où croissent quelques rares tamaris, des lauriers-roses plus rares encore, et enfin une herbe d’un vert jaunâtre qui est une ressource précieuse pour les animaux. On y trouve aussi de loin en loin un r’edîr, sorte de mare où croupit un reste d’eau. Quelque saumâtre que soit d’ordinaire le liquide qu’il contient, la rencontre d’un de ces abreuvoirs est une bonne fortune pour le voyageur. Encore l’attente est-elle souvent trompée : un r’edir[1] qui déborde aujourd’hui peut demain être vidé par une tribu en voyage ou par une caravane de chameaux. Parfois la rivière, cherchant à fuir les rayons desséchans du soleil, coule sous le sable à peu de distance de la surface. Il est facile alors de creuser des puits où l’eau arrive fraîche et abondante. C’est pour nos soldats une occasion de déployer leur esprit inventif en suppléant par leur adresse au manque de matériaux et d’outils. Une caisse à biscuits défoncée sert le plus souvent à soutenir les parois de l’excavation; on enlève le sable avec des gamelles de campement. Du reste il n’y a pas trop à compter sur l’existence de ces rivières souterraines dans un pays encore mal connu, et dont l’hydrographie est entièrement à faire. Les seuls points où l’on ait la certitude de trouver de l’eau sont les puits qui ont été reconnus et indiqués sur les cartes. Le nombre en est fort restreint, et les distances qui les séparent sont considérables. Il y en a quelques-uns dont la maçonnerie remonte à une époque évidemment très ancienne, mais difficile à déterminer. Plusieurs ont jusqu’à 40 mètres de profondeur, et présentent ce phénomène remarquable que l’eau y est constamment à une température assez

  1. En arabe, r’edir signifie trompeur.