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Il serait fort à désirer que dans la polémique les adversaires pussent ainsi plus souvent se rencontrer sur le même terrain, au lieu de se combattre à des distances où ni les combattans, ni surtout les témoins, ne s’aperçoivent entre eux.

Recevez, monsieur, l’assurance de toute ma considération.

A. GRATRY,

prêtre de l’Oratoire.


PREMIÈRE LETTRE A M. VACHEROT.

Monsieur,

Je suis bien décidé à ne plus dire un mot qui puisse augmenter la colère dans le cœur d’un seul homme. Je ne veux pas envenimer la rixe intellectuelle dans laquelle nous vivons. Nos divisions, nos mépris, nos colères, sont aujourd’hui, en France surtout, le plus grand obstacle à la science aussi bien qu’à la liberté.

Mais s’ensuit-il qu’il ne faut plus ni discussion ni polémique? Tout au contraire. Si nous aimons la justice et la science, et si nous voulons mettre un terme à la coupable et dangereuse colère qui divise les esprits, c’est pour nous un devoir d’apprendre à discuter. Il y a une dispute féconde à laquelle la conquête du monde est promise. C’est cette sorte de division du travail, cette conciliation des points de vue, et cette perpétuelle discussion des choses, dans la lumière de l’expérience et de la raison, qui a fondé la science de la nature, qui crée en ce moment la science sociale, et qui un jour aussi développera la grande science de la religion. Telle est, monsieur, la polémique dont je voudrais posséder l’art, afin de vous combattre sans vous blesser.

Que s’il s’agit de religion, je ne puis ignorer la règle de ma polémique. Saint Pierre la donnait en ces termes aux chrétiens dont on attaquait l’espérance : « ne craignez rien, ne vous troublez pas, et soyez en tout temps préparés à satisfaire tout homme qui vous