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incroyable, leurs « buveuses d’air, » comme ils disent, les entraînent rapidement hors de l’atteinte de nos meilleurs chevaux. Ils savent se diriger et retrouver leur chemin dans des plaines où nous ne distinguons pas le moindre point de repère. Ils vivent enfin naturellement là où nous sommes obligés de nous faire à grand’ peine une vie factice. Tous ces avantages qu’ils ont sur nous rendent la lutte contre eux excessivement laborieuse, et forcent le soldat français à déployer des qualités très différentes de celles qu’il doit au génie national. On ne lui demande plus cette bravoure pleine d’entrain qu’on a nommée la furia francese. Ce qui l’attend, c’est une vie de souffrances continuelles. Il devra supporter la fatigue, la chaleur, la faim, et, ce qui est pis encore, la soif; il devra courir pendant des semaines entières après un ennemi insaisissable, sans avoir la plupart du temps pour stimuler son ardeur l’appât irrésistible du moindre engagement; il devra enfin se faire une habitude des amertumes de la guerre en renonçant à la gloire, qui en serait pour lui le dédommagement.

Quand on apprend en France qu’une tribu révoltée, poursuivie dans le désert par une colonne française, a été atteinte et razzée par elle, c’est à peine si on y prend garde. Le mot de razzia en effet n’éveille point l’idée d’une victoire bien glorieuse. Quelques tentes et quelques troupeaux enlevés, une tribu surprise et dispersée ou emmenée prisonnière, ce ne sont pas là des succès propres à exciter l’enthousiasme, et nul ne songe à se demander de quels efforts ils ont été le prix. L’intérêt de ces modestes faits d’armes vient donc bien moins du résultat obtenu que des circonstances dont ils sont entourés, du terrain sur lequel on opère et de l’ennemi qu’on a devant soi.

L’eau est un élément si commun en Europe, on est si habitué à la trouver partout en abondance sous ses pas, qu’on a peine à se figurer un pays qui en est dépourvu. C’est cependant l’absence de l’eau qui rend cette contrée si peu praticable et si dangereuse. Dans les expéditions du sud, ce n’est pas l’ennemi qui joue le principal rôle, c’est l’eau; la connaissance des puits doit servir de base à notre tactique et diriger nos colonnes. Si l’on considère sur la carte la vaste région qui, sous le nom de Sahara algérien, s’étend au sud de notre colonie africaine, on la, voit sillonnée par un nombre assez respectable de ces lignes noires et sinueuses par lesquelles on est convenu de représenter les cours d’eau. La dimension de ces lignes peut faire croire à l’existence de larges fleuves; il ne faut cependant pas s’y tromper : les lits existant, c’est vrai; mais on n’y trouve de l’eau que quelques jours chaque année, lorsqu’une pluie abondante est tombée sur les montagnes. Ces rivières coulent, si j’ose employer