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d’après l’étendue et la valeur du terrain concédé ; dans la colonie Victoria, ils paient tant par tête de bétail, et rien pour la terre. L’un des runs visités par M. de Beauvoir avait une superficie de 80,000 bectares ; il était limité au nord et au sud par deux rivières presque parallèles, le Walkool et le Murray, entre lesquelles ou avait établi du côté de l’est une solide barrière de. bois d’une longueur de 27 kilomètres, et du côté de l’ouest une clôture en fil de fer de 35 kilomètres. Sur cet immense pâturage, on élevait un troupeau de 15,000 bœufs, gardé par 15 hommes : 1 homme pour 1,000 bœufs. Les dépenses annuelles étaient d’environ 80,000 fr., en y comprenant la taxe payée à l’état (17,000 francs). Voici maintenant les recettes. Le squatter envoie tous les ans, de mai en septembre, une dizaine de ses hommes acheter dans les environs tout le bétail maigre ou jeune qu’ils peuvent trouver ; il le revend à Melbourne après l’avoir engraissé. En achetant, par exemple, 15,000 bêtes à raison de 50 francs par tête, ce qui fait une dépense de 750,000 francs, il peut les revendre 2 ou 3 millions au bout de deux ans. Un autre run représentait un espace de plus de 100,000 hectares de prairies, et nourrissait 60,000 moutons. Les frais annuels s’élevaient à 160,000 francs, les bénéfices à 250,000. Il est vrai que ces beaux résultats ne s’obtiennent pas toujours. Les trombes de grêle tuent quelquefois les agneaux par milliers, les sécheresses alternent avec les inondations. D’immenses prairies sont parfois, non-seulement desséchées, mais incendiées par les rayons solaires, qui tombent sur des herbes en fermentation, et les squatters sont alors forcés de recourir au boilingdown, c’est-à-dire de convertir une partie de leurs troupeaux en suif.

Les exemples que nous venons de citer suffiront pour donner une idée de l’échelle grandiose sur laquelle, grâce à la liberté, se développent les colonies anglaises de l’Océanie. Tout à côté, la colonie française de la Nouvelle-Calédonie, malgré ses admirables ressources naturelles, est restée un vaisseau à trois ponts commandé par le sifflet du contremaître ; les colons sont traités en passagers qui gênent la manœuvre du bord. « Le plus clair des importations françaises, dit M. de Beauvoir, c’est l’absinthe, et le plus saillant des exportations, ce sont des papiers timbrés et des rapports militaires. » Telle est la différence des systèmes. Les colonies australiennes, indépendantes les unes des autres, s’administrent elles-mêmes. Le gouvernement britannique, loin de les régenter, les a déclarées et laissées libres dès le principe ; elles sont devenues de vrais états, ayant leurs chambres, leur système électoral, votant leurs lois et leurs institutions. La liberté a été la source de leur prospérité.


R. RADAU.


L. BULOZ.