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circulation des capitaux. Plus de 1 milliard 500 millions de francs ont été déjà consacrés à l’établissement d’un magnifique réseau de chemins de fer, qui, dans quelques mois, réunira tous les grands centres de l’empire indien depuis Lahore jusqu’à Bombay et Madras. Pour parer aux sécheresses qui compromettent les récoltes de quelques districts et pour augmenter en même temps la fertilité générale du sol, le gouvernement fait étudier en ce moment un système de canaux d’irrigation auquel il compte consacrer 500 millions. Enfin près de 20,000 écoles instruisent aujourd’hui 600,000 natifs et les initient à notre civilisation. On voit qu’un pas immense est fait, et qu’on ne risque pas de se tromper en prédisant à cette colonie un avenir des plus brillans.

Le seul obstacle, et il est sérieux, qui s’oppose à l’immigration des Européens, c’est le climat de l’Inde. On ne s’y fixe pas, on revient lorsqu’on a fait fortune. Les Allemands et les Suisses commencent à prendre une part de plus en plus large au commerce des Anglais ; les Français n’en sont pas là, ils font à peine la moitié des affaires françaises, puisque nous achetons de seconde main sur les marchés de Londres et de Liverpool une bonne partie des matières premières que notre industrie tire des Indes. Ce qui cependant pourrais encourager les capitalistes français à diriger leur attention sur ce pays, c’est la loi nouvelle sur les associations commerciales dans l’Inde, d’après laquelle le prêteur intéressé ou commanditaire n’est pas considéré comme associé responsable, de sorte qu’il peut rentrer dans ses fonds avant les créanciers, si la maison a fait de mauvaises affaires (contrairement au droit établi en Angleterre). Que l’on ne s’imagine pas d’ailleurs que l’Inde soit le pays de Cocagne des aventuriers ; ce qu’il faut là, ce sont des négocians solides, capables de fonder des maisons sérieuses et-durables, et disposant de bons capitaux ou d’un grand crédit. Une seule fois il en a été autrement ; c’est quand la guerre américaine priva l’Europe des 4 millions de balles de coton que lui fournissaient habituellement les états du sud. À ce moment, une hausse colossale s’était déclarée sur les prix du coton indien ; l’exportation de Bombay monta de 60 à 800 millions. En présence d’un pareil coup de fortune, les entreprises les plus folles trouvaient, des actionnaires par centaines, les banques et les sociétés nouvelles sortaient de terre, leurs actions montaient à des primes fabuleuses avant qu’elles n’eussent ouvert leurs bureaux. L’argent n’avait plus de valeur, on rencontrait des natifs qui passaient pour cent fois millionnaires. La paix fit tout crouler. Les actions tombèrent de haut : celles de la compagnie de Back-Bay, après s’être vendues 60,000 roupies, ne trouvèrent plus d’acheteur à 150.

Le rapport de M. Siegfried sur la situation de la Cochinchine française constate que cette colonie, dont le territoire ne représente pas le dixième de la surface de la France et qui ne compte encore que 2 millions d’habitans (dont à peine un millier d’Européens), est en voie de s’accroître « t de prospérer. Il faudrait toutefois songer bientôt à substituer le