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leur reproche de n’avoir de regards que pour l’Angleterre. Assurément ce serait un puéril fétichisme de prétendre modeler la France sur l’Angleterre, de croire que tout est bien à Londres tandis que tout est mal à Paris. Chaque pays a son caractère, ses traditions nationales, ses allures particulières, et sur plus d’un point la France n’en est pas à se laisser distancer par l’Angleterre. Ce n’est pas moins toujours d’un bon et viril exemple de voir comment un tel peuple s’avance d’un pied ferme sur un terrain solide et en gardant toujours une vigoureuse élasticité de mouvemens. L’Angleterre, elle aussi, a ses expéditions lointaines ; elle les paie sans trop marchander, en ayant soin de s’en retirer le plus vite possible et en se promettant de n’y pas revenir trop souvent. Elle accomplit aujourd’hui une des plus grandes réformes intérieures qu’un peuple puisse réaliser, un essai de la séparation de l’église et de l’état ; elle vit avec toutes ces questions de salaires, de travail industriel, qui sont l’épreuve de notre temps : tous les intérêts s’agitent, toutes les forces, toutes les passions se déploient, et rien ne trouble gravement le jeu naturel des institutions, vivifiées par la liberté. L’Angleterre, comme d’autres, a parfois ses finances surchargées, elle n’est pas à l’abri des grosses dépenses qui font de temps à autre des trouées dans les budgets ; elle ne s’ingénie pas pour se dissimuler le mal, elle court à la brèche pour la réparer, et d’un effort elle retrouve un sérieux et solide équilibre qui lui permet de réduire ses taxes. Elle reconquiert de véritables excédans qu’elle ne fait point passer aussitôt dans des budgets extraordinaires, mais qu’elle emploie à alléger les charges du pays.

C’est la marche que M. Gladstone avait déjà suivie, il y a quelques années, en passant au ministère ; c’est ce qui caractérise encore aujourd’hui le dernier exposé financier de M. Lowe, cet ingénieux et habile chancelier de l’échiquier qui vient de présenter un budget dont s’est réjouie l’Angleterre. Le dernier cabinet tory avait un peu rudoyé les finances anglaises, qui, en tenant compte des frais de l’expédition d’Abyssinie, restaient avec un certain déficit ; M. Lowe les relève hardiment par ses combinaisons. Un vaillant amiral français, faisant l’autre jour dans le sénat le calcul des charges militaires des divers états européens, montrait que l’Angleterre dépensait proportionnellement plus que la France, — 336 millions pour une armée de 145,000 hommes, tandis que nous ne dépenserions que 373 millions pour 400,000 hommes. C’est possible ; seulement voici le résultat, plus éloquent que tous les calculs. Après les réductions opérées par M. Lowe, le budget qui vient d’être soumis au parlement présente une dépense de 68,223,000 livres sterlings, ou 1,700 millions de francs, et une recette de 72,855,000 ou 1,800 millions de francs. C’est déjà un boni fort réjouissant. D’un autre côté, par une réorganisation du mode de perception des impôts, le chancelier de l’échiquier réalise une économie de plus de 3 millions de livres sterling. Ce serait donc un excédant de 7 millions, sur lequel, il est vrai, il faut