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vues sur tous ces points avec une patriotique liberté. Devant cette franchise, tous les subterfuges seraient devenus impossibles ; le pays n’aurait plus ignoré où il en était et sur quoi il avait à se prononcer. On a voulu se donner la flatteuse popularité de la paix en attendant de conquérir la dangereuse popularité de la guerre ; c’est là peut-être ce qui est à craindre, et ce qui est vrai de la politique extérieure ne l’est pas moins de la politique intérieure. Ici également il faut choisir : le plus mauvais calcul serait de tout confondre, de suppléer à la netteté de la conduite par la tactique, de multiplier les déclarations libérales en prétendant se réserver toutes les prérogatives, toutes les pratiques du régime discrétionnaire qu’on a paru désavouer.

Le gouvernement a-t-il la résolution de faire sincèrement œuvre de libéralisme ? Il le dit, il prétendrait même au besoin être plus libéral que tout le monde. La question était dans tous les cas curieuse à éclaircir à la veille des élections, et elle s’est agitée de nouveau dans le corps législatif à propos d’une interpellation sur la corruption électorale dont un membre de la majorité a cru devoir prendre l’initiative. Ce député dévoué, M. Jérôme David, n’a pas vu qu’en tirant de l’oubli un article du décret électoral qui concerne particulièrement les faits de corruption individuelle, il appelait nécessairement l’attention, ne fût-ce que par représailles, sur la corruption collective, ou, pour parler comme autrefois, sur l’abus des influences administratives, sur l’intervention impérieuse du gouvernement dans les élections. De là est née aussitôt cette autre question des candidatures officielles, dont le ministre de l’intérieur a nettement et résolument relevé le drapeau.

Le principe des candidatures officielles est-il par lui-même incompatible avec un régime libre ? Il ne s’agit que de s’entendre. C’est, nous le craignons bien, une idée plus spécieuse que pratique de prétendre disputer à un gouvernement le droit d’avouer ses préférences, de soutenir moralement ses amis, de donner une direction. Un ministère italien voulut, il y a quelques années, se désintéresser absolument des élections ; il en résulta un parlement qui n’appartenait ni au gouvernement ni à l’opposition, qui était un vrai fouillis où fleurissait l’incapacité. Un gouvernement a donc un droit et souvent un devoir d’intervention morale-mais ici s’élève la difficulté réelle sur laquelle on n’a peut-être pas assez insisté. Par une conséquence bizarre, l’extension démocratique du suffrage a créé des conditions telles qu’il faut en vérité avoir quelque fortune pour se présenter au scrutin. Un candidat indépendant est obligé, sauf quelques cas exceptionnels à des frais considérables. Or est-il juste, est-il légitime que le gouvernement d’un autre côté mette au service d’un député qui se présente de nouveau devant les électeurs, même quelquefois d’un candidat assez mal choisi et qui ne sera peut-être jamais nommé, toutes les forces de l’administration, tous ses moyens de publicité, ses maires, ses juges de paix, ses gardes champêtres, ses facteurs, ses insti-