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qu’un prélude électoral, et pour l’opposition particulièrement c’était une occasion suprême de résumer la politique de ces dernières années, de préciser les questions en présentant au pays l’image saisissante de la situation sur laquelle il va se prononcer. Malheureusement, à l’approche de ces crises, il vient un moment où tout se hâte, où les petits intérêts se déploient avec une âpreté naïve et où la confusion s’en mêle, si bien que le budget lui-même, ce budget qu’on vote aujourd’hui au pas de course, finit par se perdre au milieu de toute sorte d’amendemens sur le vinage ou sur les traitemens des vicaires et des instituteurs primaires. C’est l’histoire du corps législatif depuis quelques jours. Les muets dérouillent leur éloquence, les plus modestes font une démonstration, les vins de l’Hérault, plus hardis, se lancent dans la bataille, on se dispute à l’envi les faveurs des gardes champêtres et des facteurs ruraux, ces braves piétons électoraux qui ne se doutent pas de tout l’intérêt qu’on leur porte cette semaine, et qui ne s’en trouveront pas mieux dans quelques mois. C’est une cohue de discussions à bâtons rompus, au-dessus desquelles se détachent cependant quelques points caractéristiques, quelques manifestations plus saisissantes, quelques discours de l’opposition ou des ministres qui ont au moins le mérite de serrer la question de plus près, de la laisser entrevoir dans ce qu’elle a de sérieux ou de supérieur.

Quelle lumière jaillira pour le pays de tous ces débats, de ceux qui se produisent chaque jour dans le corps législatif aussi bien que de ceux qui ont lieu au sein du sénat, et qui se ressentent nécessairement un peu de l’état de l’atmosphère publique ? La politique actuelle en sortira-t-elle justifiée ou tout au moins éclaircie et précisée dans ses vraies directions ? Ce serait bien l’essentiel, et c’est pourtant ce qui reste en question. L’opposition, nous en convenons, a essayé de faire de cette session ce qu’elle devait être, une sorte de résumé, un enseignement parlant pour le pays. M. Thiers, avec sa passion toujours jeune et dans l’indépendance de sa pensée personnelle, a donné l’exemple par une de ces vives et lumineuses expositions qui sont le vigoureux commentaire de toute une situation, il a cherché en maître, en politique aussi modéré que hardi, où en était enfin ce vieux et cher programme des libertés nécessaires qu’il arborait il y a six ans, et sur son chemin il a fait sentir des aiguillons sous lesquels a bondi l’éloquence de M. Rouher. M. Ernest Picard, ce Parisien gouailleur qui a dans sa légèreté plus d’esprit politique que bien d’autres, M. Picard, en touchant à cette vilaine matière de la corruption électorale, a provoqué M. le ministre de l’intérieur à s’expliquer sur les candidatures officielles. M. Jules Favre s’est chargé d’amener M. le ministre des affaires étrangères à nous renseigner sur nos relations en Europe et dans le monde, sur ce que nous avons à craindre ou à espérer. M. Buffet, M. Émile Ollivier enfin, sont intervenus à leur tour dans la mesure de leurs opinions libérales et modérées. On s’est expliqué sur