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s’il manie les cuivres comme personne, du moins n’a-t-on guère à craindre avec lui cette erreur où tombent aujourd’hui la plupart des musiciens, et qui consiste à mettre dehors toutes les voix de l’orchestre sans tenir compte de la différence des sentimens et des situations. Sur ce point, l’art de Berlioz reste inattaquable. Il sait, quand il le faut, ouvrir l’outre aux tempêtes et, quand il le faut aussi, la fermer. Jamais de contre-sens : dans son orchestre, la tendresse ni l’élégie ne font explosion. Si la violence de l’émotion commande les grands moyens, il renforce les violons pour étouffer la rudesse des cuivres, et c’est à cette entente des ressources techniques, à cet art d’opérer la fusion entre le quatuor et les instrumens à vent, à cette manière inouïe de raviner et d’estomper, que l’auteur de la Symphonie de Roméo et de la Symphonie fantastique doit cet honneur de passer, même au pays de Richard Wagner, pour le plus grand sonoriste contemporain. « La théorie défend cela, disait un critique à Beethoven. — Et moi je le permets, répondit le maître. » C’est qu’en effet rien n’est moins sérieux que la théorie de la musique, si ce n’est la théorie de l’art des vers. Par ce côté disciplinaire, toutes les poétiques se ressemblent, toutes sont également précaires.

On aurait de la peine à trouver un homme de génie dont les premiers pas n’aient point transgressé les règles et fait crier au scandale. Le premier qui essaya de l’accord de septième fut jugé digne de la maison des fous par les conservateurs de son temps. D’autre part, qui ne se souvient de ces fameux combats où les romantiques eurent à s’escrimer avec tant de vaillance. On les appelait des barbares, on prenait leurs césures et leurs enjambemens, j’allais dire leurs septièmes, pour des signes précurseurs de la fin du monde, et toutes ces choses conquises par eux à si grands frais forment aujourd’hui le fond de la langue dramatique ordinaire. C’est à ces tonneaux de poudre, qui faisaient sauter en l’air une génération, que les artificiers de l’heure présente vont emprunter le meilleur aliment de leurs innocentes fusées. J’ai cité Beethoven, pourquoi ne citerais-je pas Victor Hugo ? L’homme est de taille à ne redouter aucun rapprochement. Cette fois ce n’était plus un critique de profession, c’était une comédienne illustre qui venait le rappeler à l’ordre, et l’avertissement, pour avoir moins d’autorité, n’en avait que plus d’arrogance. « Monsieur Hugo, est-ce français, cela ? » demandait à l’auteur d’Hernani Mlle Mars, interrompant une répétition. Si la question était un peu la même, pareille aussi fut la réponse. « J’avoue, madame, que je n’y avais point pensé ; mais, rassurez-vous, si ce n’est point français, ça le sera. » Berlioz a des hardiesses, des rudesses harmoniques souvent effroyables, j’en conviens ; mais c’est surtout dans ses premières œuvres, car son style allait s’épurant, et la langue qu’il parle dans la Damnation de Faust et dans les Troyens diffère essentiellement de celle dont il use