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Après avoir occupé résolument le pouvoir, il était opportun de le fortifier par quelques exécutions. Agrippine était de l’école de Livie, qui n’admettait que les crimes nécessaires, et qu’aucun scrupule n’arrêtait devant un grand profit. Lollia Paulina, qui pouvait redevenir une rivale, est exilée et tuée bientôt après. Ses pierreries étaient estimées 8 millions ; elle était belle, et l’esprit superstitieux des Romains regardait comme un présage de bonheur insigne une double dent canine qui ne déparait point sa bouche. Aussi, lorsque le centurion lui rapporta la tête de sa rivale, Agrippine voulut-elle glisser son doigt entre les lèvres déjà décomposées et tâter les deux dents qui l’avaient alarmée. Calpurnia est proscrite à son tour, uniquement parce que Claude l’avait trouvée belle. Lépida, femme impudique et spirituelle, témoignait à son neveu Néron une tendresse inquiétante ; elle flattait ses goûts, lui prodiguait les présens, et ses caresses pouvaient cesser d’être maternelles. Lépida fut condamnée, et Néron obligé de porter témoignage contre sa tante.

Agrippine du reste tenait son fils dans une dépendance absolue ; elle n’avait pour lui aucune faiblesse ; elle le traitait rudement, l’accueillait toujours avec un visage sévère ou menaçant (truci ac minaci vultu), afin d’établir sur lui son empire d’une manière durable. Elle voulait lui assurer le pouvoir, à la condition qu’il ne l’exerçât jamais. J’oubliais Statilius Taurus, dont les beaux jardins excitèrent l’envie de la nouvelle impératrice, et que l’on força de se tuer. Enfin la faction des césariens, par le seul fait de l’entrée énergique d’Agrippine dans les affaires, se trouva dissoute comme elle s’était formée, sans lutte apparente, sans secousse. Narcisse restait debout, isolé, mécontent, veillant sur Britannicus. Tacite explique en quelques lignes quelle action fut alors imprimée aux affaires par l’avènement d’Agrippine. « Tout change dans l’état, dit-il, et tout obéit à une femme ; mais cette femme ne se jouait plus de la chose publique au gré de ses passions. Les rênes de la servitude étaient resserrées et l’on croyait sentir une main virile. En public, sévérité. et souvent orgueil ; dans le secret du palais, rien d’impudique, à moins que l’ambition ne l’exigeât. Une soif insatiable de l’or avait pour prétexte les ressources qu’il faut ménager au pouvoir. » Le grave historien laisse voir que la liaison d’Agrippine avec Pallas se continua après son mariage. Elle avait besoin de Pallas, qui depuis neuf ans administrait les finances et possédait les secrets de l’empire. Intendant du fisc impérial, il disposait de ressources immenses et tenait le véritable nerf du pouvoir. Agrippine suivait en cela la maxime de César et d’Auguste, qui multipliaient leurs liaisons criminelles dans les grandes familles, afin d’avoir l’œil et l’oreille partout. Pour elle, une liaison suffit, mais c’est avec le premier personnage de l’empire, le plus fier des césariens, le complice de