Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/1002

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais se contenir, fit tuer le secrétaire de Claude, personnage considérable, le quatrième parmi les césariens, qui avait été son amant. Les triumvirs, Pallas, Calliste et Narcisse, comprirent que les coups pouvaient s’élever jusqu’à eux, et voulurent venger Polybe. Le mariage public de Messaline avec le beau Silius, qui convoitait l’empire, acheva de les effrayer. C’était la première fois qu’on voyait à Rome un mari répudié par sa femme ; cette gloire était réservée au frère de Germanicus. Les césariens ne pouvaient reculer davantage ; ils avaient accepté pour Claude tous les ridicules, ils ne voulaient point accepter la menace d’une révolution.

Messaline morte, il fallut marier Claude ; ce vieillard faible et débauché ne pouvait se passer de femme. La négociation du mariage acheva de diviser les césariens. Chacun d’eux avait sa cliente, chacun vantait son choix, chacun faisait son calcul. Claude ne savait auquel entendre, et les conseils tenus sur cette importante matière ajoutaient à son embarras. Narcisse recommandait Ælia Pætina, ancienne femme de Claude, qu’il avait répudiée sans motifs graves. « Pætina n’avait pour lui rien d’effrayant, c’était un mal connu. » Calliste poussait Lollia Paulina, une des femmes de Caligula, « personne fort douce, qui était faite aux grandeurs. » Les deux associés, on le voit, tiraient prudemment leurs impératrices du garde-meuble de la couronne. Pallas présentait Agrippine, « dont la fécondité était éprouvée, qu’il était dangereux de laisser porter dans une autre famille le grand nom de Germanicus et une popularité éclatante. »

Agrippine, entreprenante, énergique, brusqua le dénoûment. Usant des facilités et, selon l’expression de Suétone, du droit de baiser (jus osculi) que lui donnait son titre de nièce, elle enhardit si bien son timide prétendu, qui en était à sa sixième femme, qu’il était apprivoisé au mariage et marié avant de l’être. A peine est-elle proclamée impératrice qu’elle saisit le gouvernement d’une main virile. Rien n’arrêtera plus son indomptable ambition, qui a la rectitude d’un trait violemment lancé. En vain Narcisse veut la combattre, il est seul ; ses complices ont vieilli, ils sont gorgés, ils craignent la lutte. Pallas trahit au profit du règne futur, et favorise les plans d’Agrippine. Calliste est pusillanime plus que jamais. La ligue du mal public est dissoute, et tous pâlissent devant le génie d’une femme. Il semble que depuis dix ans Agrippine ait mûri son plan et qu’elle l’applique avec la netteté d’un conspirateur qui a prévu le jour de son triomphe. Aussitôt Néron est fiancé à Octavie, adopté, fait prince de la jeunesse, tandis que Britannicus languit à l’écart. Aussitôt Sénèque est rappelé de l’exil, Burrhus préposé à la garde prétorienne, Néron confie à ces deux précepteurs comme un gage donné au parti des philosophes et des honnêtes gens.