Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturelle d’une génération spontanée journalière, entretenant ce fonds général d’ébauches vivantes où les espèces nouvelles ont pris et peuvent à chaque instant prendre naissance. Les plus anciennes, celles dont les circonstances ont stimulé les besoins et multiplié les habitudes, occupent aujourd’hui le premier rang ; les autres se trouvent naturellement étagées selon la date de leur naissance et l’énergie ou la faiblesse des stimulans qu’elles ont rencontrés. Il est fâcheux que cette explication repose sur une erreur que reconnaîtront, je pense, les plus hardis partisans actuels de l’hétérogénie. Il est bien évident que, si la génération spontanée était un phénomène aussi constant, aussi régulier, aussi incessant, que le croyait Lamarck, la réalité en eut été depuis longtemps mise hors de doute.

La persistance des types inférieurs est bien plus difficile à expliquer pour quiconque se place à un point de vue analogue à celui de Darwin. Il y a dans ce fait comme une protestation contre la généralité de l’application des principes mêmes de la doctrine. Le savant anglais l’a bien senti lui-même. C’est ici surtout qu’il laisse de côté le progrès organique, qu’il se rattache au principe de l’adaptation, et formule relativement aux conséquences de l’élection naturelle des restrictions assez peu d’accord, il me semble, avec le langage qu’il tient ailleurs. « Quel avantage, dit-il, pourrait-il y avoir pour un animalcule infusoire, pour un ver intestinal, ou même pour un ver de terre, à être doué d’une organisation élevée ? Et si ces diverses formes vivantes n’ont aucun avantage à progresser, elles ne feront aucun progrès ou progresseront seulement sous de légers rapports par suite de l’action élective qui tend à les adapter de mieux en mieux à leurs conditions d’existence, mais nullement à changer ces conditions, de sorte qu’elles peuvent demeurer dans leur infériorité actuelle pendant une suite indéterminée d’époques géologiques. En effet, nous savons d’après les documens paléontologiques que plusieurs des formes les moins élevées de la série organique, telles que les rhyzopodes et les infusoires, sont demeurées pendant d’immenses périodes à peu près dans l’état où nous les voyons aujourd’hui. »

Tel est le langage de Darwin lui-même, tels sont les faits qu’il accepte. À plus forte raison admettrait-il que les êtres plus simples et à caractère indécis dont je parlais tout à l’heure ont traversé sans grand changement « un nombre indéterminé d’époques géologiques. » Comment se fait-il qu’en dépit de la lutte pour l’existence et de la sélection ils aient conservé à travers ces époques, à travers les changemens de conditions d’existence qu’elles ont présentées, à travers les millions de millions de siècles qu’elles comprennent d’après lui, une simplicité d’organisation qui fait son-