Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/998

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le jour même, elle fut surprise par la tempête, et mouilla au milieu, des écueils. Pendant la nuit, trois vaisseaux eurent leurs câbles brisés et ne se sauvèrent que par miracle. Le lendemain, on remit à la voile, et le comte de Gacé fut proclamé maréchal de France sous le nom de maréchal de Matignon. Chaque officier reçut, comme la promesse en avait été faite, le grade supérieur à celui qu’il occupait. Pour beaucoup dès lors, le but de l’expédition était rempli. Aussi, à mesure qu’on s’avançait vers les côtes d’Ecosse, au milieu des brouillards et des grains, sous un ciel triste et froid, à mesure qu’on était plus tourmenté par le mal de mer et en proie aux incommodités inséparables d’une telle traversée, on commençait à partager l’opinion de Forbin, et à trouver que le plus prudent serait peut-être de revenir sur ses pas ; mais Forbin, qui d’ailleurs accomplissait un devoir en continuant sa route, ne voulait entendre à rien, et goûtait un amer plaisir à railler les découragés et les malades. Enfin le 12 mars, à l’entrée de la nuit, la flotte mouilla devant la rivière d’Edimbourg, et l’on fit immédiatement des signaux dans toutes les directions.

Ce fut un moment d’incertitude cruelle. D’autres sentimens s’agitaient en effet sur la flotte que les égoïstes intérêts d’ambition des officiers français. Les partisans de Jacques III, embarqués sur la foi de leurs espérances, ne contemplaient pas sans émotion les côtes de leur patrie, et s’attendaient à chaque instant à voir briller un feu de reconnaissance, à entendre un cri de ralliement. Partout régnaient le silence et la solitude. Les précautions du ministère whig avaient rendu toute manifestation impossible. Pendant la nuit toutefois, cinq coups de canon furent tirés dans le sud : c’était un signal, mais un signal de l’ennemi. Aux premières lueurs du jour, on aperçut la flotte de l’amiral Byng mouillée à quatre lieues de distance. Les proscrits crurent d’abord qu’ils se trompaient. Ils ne pouvaient se résigner à voir leurs illusions si promptement détruites. Ils dirent à Forbin que ce qu’il prenait pour les vaisseaux ennemis était une flotte danoise qui venait chaque année à Edimbourg pour y chercher du charbon de pierre. Forbin envoya deux frégates la reconnaître ; mais en même temps il fit appareiller l’escadre. Sa position était difficile. Il avait pénétré assez avant dans le golfe, et devait, pour en sortir, doubler le cap qui le termine au nord. Si au lieu de ses corsaires il avait eu des flûtes, il n’en serait point venu à bout. Heureusement pour lui, l’amiral Byng, avant de le poursuivre, voulut former sa ligne de bataille, et perdit un temps précieux dont Forbin profita pour s’échapper. Toutefois la flotte anglaise, qui se trouvait au vent, gagnait sensiblement sur lui. Les seigneurs anglais, qui craignaient pour la sûreté de Jacques III, pressaient Forbin de les débarquer près d’un château que l’on apercevait