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fut alors témoin de l’agonie de ce grand navire, qui implorait des secours et auquel l’imminence d’une explosion rendait impossible d’en porter. Au bout d’un quart d’heure, pendant lequel le feu l’avait embrasé de l’arrière à l’avant, il sauta. Il y avait à bord plus de 1,000 hommes d’équipage et plus de 300 passagers, officiers et soldats.

Le combat était terminé. Des 5 vaisseaux ennemis, l’un, le Devonshire, avait sauté, 3 autres avaient été pris, et le dernier, le Royal-Oak, le fut le lendemain par Forbin et de Nangis, qui le rencontrèrent au large. La plus grande partie de la flotte avait été capturée. Elle l’eût été tout entière sans le malentendu qui survint au commencement du combat entre Du Guay-Trouin et Forbin. Tous deux se firent des reproches. Du Guay-Trouin se plaignit de l’indécision de son chef, Forbin de la précipitation de son lieutenant, qui avait attaqué sans ordres ; mais Forbin eût dû se rappeler qu’il ne lui en avait donné d’aucune sorte, et que dans un combat le devoir de l’inférieur, s’il est livré à lui-même, est de marcher au feu sans attendre de signal. La belle part de cette affaire revient à Du Guay-Trouin. Il faut ajouter cependant que, s’il remporta la victoire, ce fut Forbin qui la compléta. Les deux escadres firent voile vers Brest. Elles y rentrèrent précédées de la flotte marchande, et traînant à la remorque les vaisseaux ennemis au milieu des acclamations et de l’enthousiasme de la population, accourue de tous les côtés. Les matelots de Forbin et de Du Guay-Trouin, en amenant ces prises anglaises sur une rade de France, criaient avec une dérision pleine d’orgueil : « Place aux maîtres de la mer ! »


II

Le combat du 22 octobre 1706 ne devait pas avoir seulement le résultat d’une course heureuse, il avait influé d’une manière décisive sur les affaires d’Espagne. Les Portugais et l’archiduc Charles venaient en effet de livrer à Philippe V la bataille d’Almanza, et l’avaient perdue. Ils se retiraient, mais en bon ordre, sur le Portugal, et n’attendaient pour reprendre l’offensive que les convois de troupes et de munitions de l’Angleterre et de la Hollande. C’étaient ces secours que Forbin et Du Guay-Trouin avaient interceptés, et le combat du 22 octobre complétait de la sorte au profit de Philippe V la bataille d’Almanza. D’ailleurs la marine de course était alors à son apogée. Entre Forbin et Du Guay-Trouin, d’autres hommes, bien que d’une renommée moins éclatante, y avaient conquis une belle place. M. de Langon, avec sa seule frégate, soutenait à l’extrémité de la péninsule, près du détroit de Gibraltar, un combat glorieux contre 3 vaisseaux anglais ; Duquesne-Mosnier et Coetlogon, avec