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Dunkerque pour y recevoir du roi le titre de comte et le grade, si impatiemment attendu par lui, de chef d’escadre.

On n’allait point tarder à l’employer dans cette nouvelle position, et cette fois en lui donnant, ce qui était un honneur de plus, Du Guay-Trouin pour lieutenant. L’illustre marin de Saint-Malo revenait alors de plusieurs courses aventureuses, et avait obtenu à son retour la croix de Saint-Louis. Le roi lui confiait en outre le commandement de 5 bâtimens. C’étaient le Lys, de 74 canons, l’Achille, de 66, le Jason, de 54, la Gloire, de 40, l’Amazone, de 36, et le Maure, de 50. Du Guay-Trouin leur avait choisi pour capitaines ses vieux compagnons de mer, MM. de Beauharnais, de Courserac, de La Jaille, de Nesmond et de La Moinerie-Miniac. Forbin de son côté avait une escadre de 8 bâtimens de 44 à 60 canons, et pour capitaines MM. de Tourouvre, de Roquefeuille, Hennequin, de Nangis, de Vesin, d’Ilié et Bart. Forbin et Du Guay-Trouin reçurent l’un et l’autre à Brest, où s’étaient armés leurs navires, une lettre de M. de Pontchartrain leur ordonnant de prendre la mer pour intercepter une flotte considérable chargée de troupes et de munitions de guerre que la reine d’Angleterre envoyait en Portugal et en Catalogne ad secours de l’archiduc. Le comte de Forbin, comme chef d’escadre, avait le commandement supérieur. Il hâta ses derniers préparatifs et appareilla.

Après trois jours de croisière à l’ouverture de la Manche, Forbin changea tout à coup de route et se dirigea du côté de Dunkerque. Du Guay-Trouin, pensant qu’il avait fait quelque découverte, cingla également dans cette direction, et aperçut effectivement aux premières lueurs du matin une nombreuse flotte qui devait être celle qu’on leur avait annoncée. Il se disposait à aller trouver Forbin pour concerter l’attaque avec lui lorsque celui-ci hissa pavillon de chasse. Du Guay-Trouin l’imita, et comme son escadre, carénée de frais, avait une marche supérieure, il fut bientôt à une portée de canon de l’ennemi. Il attendit alors que Forbin, qui était son commandant, lui fît le signal d’attaque ; mais, contre toute prévision, et quoique le temps permît de porter les perroquets, le comte mit en travers et s’occupa de prendre des ris. Du Guay-Trouin se vit contraint de l’imiter, et pendant ce délai la flotte marchande forçait de voiles en différens chemins. La manœuvre intempestive de Forbin lui était-elle inspirée par le regret jaloux d’être distancé et de ne point commencer lui-même le combat ? On aurait lieu de le croire, car son caractère altier ne pouvait souffrir de rival. Quoi qu’il en soit, Du Guay-Trouin, ne recevant point d’ordre, voyant que le jour s’avançait, car il était déjà midi et l’on se trouvait au mois d’octobre, résolut de né point différer davantage et d’ouvrir l’action. Les cinq vaisseaux qui escortaient la flotte marchande, se