Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/981

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

véritablement existé que pendant quatre ou cinq séances où l’on a pu donner réellement son opinion[1]. » Le cardinal en terminant engagea ces dames à voir l’évêque de Nantes, qui avait très fortement parlé à l’empereur pour la mise en liberté des prisonniers, et qui pouvait beaucoup plus que lui.

Le lendemain, 5 août, peu de temps avant la séance du concile, Mmes de Murat et de Lameth se rendirent chez M. Duvoisin. Il se montra très étonné, presque contrarié, mais surtout effrayé de ce que le cardinal leur avait dit qu’il avait demandé à l’empereur la liberté des prisonniers. Il n’en était rien ; il ne se serait jamais permis pareille chose. « Il avait seulement donné à entendre à sa majesté que la délivrance de ces messieurs pourrait produire un bon effet sur le concile. L’empereur était d’ailleurs fort irrité contre l’évêque de Gand à cause de cette histoire de la Légion d’honneur. Mme de Murat fit observer que cette affaire datait de bien loin, que l’arrestation avait eu lieu à propos du concile, et qu’il était difficile, pour ne pas dire impossible, de faire croire au public que ces messieurs eussent été enfermés pour un autre sujet, car MM. les évêques de Tournai et de Troyes avaient aussi été arrêtés, quoiqu’ils eussent accepté et qu’ils portassent tous deux la croix d’honneur. » A cela, M. Duvoisin n’essaya même pas de répondre ; Mme de Murat insistait toujours. « Voilà pourtant un moment bien favorable, dit-elle, pour faire une réclamation en faveur des prisonniers ; la démarche de l’épiscopat entier serait d’un grand poids. » Ce n’était pas l’avis de M. Duvoisin. Si quelques voix s’élevaient pour demander leur liberté, il ne les combattrait pas ; il ne pouvait promettre davantage. Si quelqu’un était en mesure de faire une semblable motion, c’était le cardinal. Fesch comme président. « Mais il nous a renvoyées à vous, vous nous renvoyez à lui, que faut-il en conclure ? » M. Duvoisin, de plus en plus embarrassé, objecta qu’il n’avait plus ses entrées à la cour ; l’empereur était d’ailleurs parti pour aller chasser au château de Rambouillet, qui était fort éloigné. Ces dames étaient un peu plus qu’étonnées. « Monseigneur, s’écria l’une d’elles, se rappelant sans doute 89 et les mouvemens généreux de cette glorieuse époque, est-ce vraiment possible ? Quoi ! les évêques réunis n’oseront pas réclamer la liberté des détenus ? Autrefois il n’y aurait pas eu un seul corps de l’état qui n’eût senti en pareille circonstance qu’il y allait de son honneur. — Oui, cela est vrai ; mais ce qui se faisait autrefois ne se fait plus aujourd’hui. » Sur ces paroles, Mmes de Murat et de Lameth se retirèrent, trop

  1. Conversation que j’ai, eue avec le cardinal Fesch peu de jours après l’arrestation da mon frère. (Manuscrit de Mme la marquise de Murat.)