Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/967

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je songe à l’impression produite sur mes collègues par la lecture du projet de décret qu’avait rédigé l’empereur. Ce n’étaient pas ses menaces qui les effrayaient, car peu de temps après ils n’en tinrent nul compte ; mais ils virent par cette idée impériale la chose toute changée et améliorée. On parlait dans le décret de la concession du pape. Elle était la base de tout. C’était par l’initiative du souverain pontife que tout se faisait. La majorité de la commission, jusqu’alors si récalcitrante parce qu’on voulait qu’elle reconnût la compétence du concile sans l’approbation du pape, était complètement rassurée. Quelle différence, disait-on, entre les deux situations, et combien la seconde n’était-elle pas favorable à la religion ! Ces hommes qui huit jours durant avaient été fermes comme des rochers se trouvaient tout à coup amollis. Je me sentais tout entraîné moi-même, continue l’évêque de Gand, et je regardais Bordeaux. Lui seul demeurait silencieux et morne. Ainsi que d’autres, je m’étais opposé à ce que le concile demandât à l’empereur de faire du décret une loi de l’état ;… mais la séduction agissait sur moi presque à mon insu. Je passai dans une pièce voisine, et je suppliai Dieu de m’empêcher de faillir, si ce qu’on proposait était mauvais. Quand je rentrai, le président était en train de prendre les voix. Spina, Caselli, Tournai, Ivrée, Comacchio, Troyes, qui avaient été inébranlables jusque-là, ne furent pas d’avis de rejeter le décret. Bordeaux seul dit que le décret était inconciliable avec les doctrines que la majorité de la commission avait naguère proclamées. Cet avis de Bordeaux m’éclaira, me soutint, et je votai comme lui. Il est inutile d’ajouter que les trois évêques députés à Savone, toujours faciles et coulans, admirent purement et simplement le décret[1]. » Ainsi la commission du message se trouvait avoir pris tout à coup une décision diamétralement opposée à la doctrine qui l’avait emporté l’avant-veille. Elle n’était pas au bout de ses fluctuations.

Le soir, il y avait dîner chez le président du concile. Comme la séance s’était prolongée assez tard, M. de Broglie et l’évêque de Troyes, M. de Boulogne, qui étaient au nombre des convives du cardinal, au lieu de retourner chez eux, restèrent à causer en attendant l’heure du repas dans les salons de l’hôtel du Mont-Blanc. L’évêque de Gand profita de cette occasion fortuite pour reprocher à son collègue de Troyes la faiblesse inattendue qu’il venait de montrer pendant la séance de la commission. M. de Boulogne se défendit d’abord assez timidement. Bientôt les anxiétés les plus cruelles agitèrent son esprit, et, loyal comme il était, dit M. de Broglie, il se

  1. Journal de M. de Broglie, évêque de Gand.