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consacrée par la discipline générale de l’église. Cette argumentation, parfaitement conforme au sentiment qui animait la majorité de la commission, fit sur elle une impression très vive. M. Duvoisin, qui s’en aperçut, n’essaya pas de la combattre en face ; mais, avec son éloquence habituelle et un art consommé, il insista sur le besoin urgent qu’avaient la France et l’Italie de se recruter d’évêques, sur les inconvéniens qu’il y aurait à laisser tant de diocèses sans direction spirituelle. « C’était, disait-il, un cas d’absolue nécessité. — Cette nécessité, qui l’a créée ? repartit M. de Broglie. N’est-ce pas l’empereur et nullement le pape, puisque le pape a tout récemment promis aux prélats qui lui ont été envoyés à Savone de donner les institutions aux évêques nommés ? Dès lors comment l’auteur de cette prétendue nécessité, qui aurait les moyens de la faire cesser demain, si cela lui convenait, serait-il en droit d’en profiter ? Cela ne se peut. — Le concile ne statuerait pas en vue de plaire à l’empereur, fit observer l’archevêque de Tours, il agirait en vue du bien de l’église. — Ce n’est pas la question, reprenaient les évêques opposans ; elle est tout autre. Il s’agit de savoir si le concile est compétent. Même dans le cas où il se reconnaîtrait compétent, il ne saurait user de son pouvoir, puisque le pape, à ce qu’il paraît, ne refuse pas les bulles. — En effet, la question est devenue beaucoup plus difficile depuis la députation, remarqua naïvement le cardinal Fesch, car on pouvait dire avant votre retour de Savone que le pape refusait les bulles, et maintenant il promet de les donner. Aussi l’empereur vous a-t-il dit ? Messeigneurs, vous avez : bâti là un bel ouvrage ; vous n’avez fait ni mes affaires ni celles de l’église[1]. »

Un peu embarrassé de cette révélation inattendue, l’évêque de Nantes souleva lui-même une partie du voile qui dérobait ? alors aux yeux de tous les scènes qui venaient de se passer à Savone. Il apprit à la commission surprise que, d’après la teneur d’une lettre récemment écrite par le préfet de Montenotte, sa sainteté paraissait maintenant hésiter un peu. Elle aurait même dit à M. de Chabrol : « Heureusement je n’ai rien signé, » et l’empereur avait interprété ces paroles comme un commencement de désaveu. En réponse à cette demi-révélation, les cardinaux Spina et Caselli et les évêques de la majorité de la commission firent observer que les fluctuations, d’ailleurs si naturelles, du souverain pontife ne constituaient en aucune façon un désaveu dont il fût permis de se prévaloir contre lui. D’un ton tranchant qui lui était assez habituel, M. de Barral répéta plusieurs fois : « Avant tout, il faut sauver l’église et lui

  1. Journal de M. de Broglie, évêque de Gand.