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commun avec plus d’un écrivain moderne, qu’après avoir beaucoup pensé il avait besoin d’agir. J’ose être ici d’une autre opinion que l’illustre Goethe : il est bien près de regarder le départ pour la Grèce comme un second ostracisme ; suivant lui, Byron, s’il avait continué de vivre, eût été contraint de s’exiler même de l’Europe. Non, le poète n’était point un Coriolan qui devient l’ami des Volsques après s’être fait repousser par les Romains. Sa haine première, il la conservait inflexible et vivace, occupant trop de place dans son cœur pour en laisser à une autre. Il abandonnait aux circonstances le soin de conduire sa vie ; mais, si elles ouvraient les voies devant lui, il choisissait sa route. Jamais homme, jamais poète surtout ne s’est moins démenti. Il a fini comme il a commencé. Son départ pour la Grèce était un second départ pour l’Orient ; il retournait à la patrie primitive qu’une première fois il avait reconnue. La dernière page sortie de ses mains, à Missolonghi, Ma trente-sixième année, met le sceau à cette existence. Il dit adieu à l’amour, qui n’est fait ni pour ses cheveux blancs, ni pour la terre où il a établi sa tente, ni pour les jours de combat qui se préparent. Son âge, les souvenirs de la Grèce, les luttes de la liberté, lui commandent de chercher la place où il veut tomber et d’y prendre son repos. Ceux qui voient dans cette suprême résolution une sorte de suicide héroïque pour en finir calomnient Byron ; ceux qui la regardent comme une expiation et un repentir le comprennent mal. Au début comme au déclin de la vie, la générosité de cette âme a toujours fait cause commune avec son orgueil. Ayant reçu plus que tout autre en Angleterre le contre-coup de la révolution, il se souleva contre une société vieillie, en aristocrate, pour le plaisir même de la révolte ; après une trêve de sept ou huit ans qui fut un enchaînement de triomphes, il s’échappa de nouveau, et, répudiant un pays qui ne se jetait pas dans les bras de son impérieux libérateur, il alla mourir pour une autre patrie, celle des Alcibiade et des Léonidas, qu’il appelait ses ancêtres. Il a passé sur la terre comme un torrent impétueux, pareil, suivant sa comparaison favorite, au Rhône indomptable, que reçoit un vaste lac aux ondes tranquilles, et qui semble s’y endormir durant quelques lieues pour en ressortir plus violent.


LOUIS ETIENNE.