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Un écrivain contemporain qui s’est souvenu plus d’une fois de Byron a versifié, au temps de la guerre de Crimée, une apologie philosophique de la guerre. Entre le poème de Maud de Tennyson et le Don Juan, il n’y a pas seulement trente années écoulées et la somme d’ennui que ces années ont accumulée dans l’esprit d’une nation enchaînée aux habitudes de la paix et au souci de l’épargne ; il y a un long repos, un oubli des calamités de la guerre, à la faveur desquels des velléités de gloire, un besoin de vengeance nationale, un vague désir de Te Deum, d’illuminations insolites, ont aisément pu trouver une place. Je comprends que le héros de Tennyson, désœuvré, mécontent, rebuté, s’en aille à la guerre comme à une aventure ; mais en 1821 l’Angleterre n’avait pas fini de payer sa gloire : elle ressentait encore les blessures que Napoléon lui avait faites, quoiqu’elle affectât de n’en plus souffrir, et le poète en y touchant réveillait une douleur bien sensible. Aujourd’hui même les admirables pages de Byron contre la guerre n’ont rien perdu de leur puissance : c’est la dernière passion que nous ayons à étudier dans ces neuf premiers chants, qui en sont si remplis. Aujourd’hui Maud est à peu près oublié ; on est toujours transporté des chaudes peintures de la prise d’Ismaïl. La vérité seule est durable, et Byron l’a rencontrée. À ce mot de guerre, les noms de tous les poètes, de tous les philosophes de notre siècle, se présentent en foule. De Maistre tient la guerre pour divine à cause de la gloire qu’elle procure, quoiqu’elle produise le carnage, à cause de l’attrait qu’elle exerce, quoiqu’elle soit affreuse. Nous comprenons que ce penseur aventureux en présence des excès de la révolution se soit laissé entraîner à chercher jusque dans le mal des preuves de la Providence ; mais il ne se doutait peut-être pas qu’un païen, le premier de tous, Homère, avait dit de Jupiter qu’il déchaînait la guerre quand la terre était trop chargée de mortels. Il se doutait encore moins que Proudhon se rangerait à son avis, ce qui ne nous étonne ni de l’un ni de l’autre de ces esprits extrêmes. Ce dernier, voyant dans la guerre le triomphe de la force, qui, suivant lui, est la source du droit, devait aussi la saluer de ce beau titre de divine. Byron n’a jamais varié sur la guerre. Il l’a toujours regardée comme le crime des nations toutes les fois qu’elle n’est pas un moyen de salut et le rempart de la liberté. Sur ce point, son opposition constante au gouvernement de son pays l’a maintenu dans le vrai, et il n’a pas été tenté de rejeter sur la- Providence le mal que faisaient les ambitions humaines. Ni avec de Maistre il ne croit que l’ivresse du sang soit une des voies de Dieu, ni avec Proudhon il n’adore le paroxysme de la force en délire. Il n’a pas non plus cet ingénieux éclectisme qui tire le bien du mal et arrose avec du sang