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Les dangereuses langueurs, les sophismes du désir, les entraînemens de l’âme qui ne se connaît plus, puis les soudaines péripéties, les coupables mensonges, le cri du cœur après les déchiremens suprêmes, tout l’amour indocile au frein et, sans autre maître que lui-même semble concentré dans l’histoire de dona Julia et dans sa lettre qu’on ne sait comment assez admirer. Voilà bien ces vagues orageuses de la passion parvenue à son extrême limite et s’y brisant en une poésie qui est le soupir de l’âme humaine aux rivages où elle est enfermée ! Ce n’est pas pourtant le dernier mot de l’art de Byron. Voici venir Haïdée, le type le plus pur de l’amour libre au milieu d’un monde idéal qui n’existe peut-être nulle part, si ce n’est dans l’imagination du poète ou bien dans quelque région ignorée, là où la nature parle seule en l’absence de toute loi sociale et de toute éducation. Quel charme perfide dans cette innocence ! quelle séduction fatale dans cette candeur ! Mais Haïdée doit mourir : si elle survivait à sa faute, elle serait flétrie à nos yeux, et le grand poète, croyez-le bien, est incapable de s’y tromper. Ne sentez-vous pas que la passion est allée plus loin encore que tout à l’heure, qu’elle retombe en gémissemens plus douloureux sur la grève où l’enserrent des lois éternelles, et que la poésie où elle s’exhale a trouvé le secret d’être plus éloquente ?

La terreur ne s’analyse pas : il faut absolument mettre sous les yeux les traits qui font passer dans l’âme le frisson de l’horrible. Que le lecteur repasse donc sur les ineffaçables souvenirs de cette tempête du chant deuxième. La poésie moderne n’a rien qui mérite davantage d’être comparé à l’épisode d’Ugolin dans l’Enfer de Dante. Nous ne ferons que deux courtes observations sur l’effrayante scène que nous présente ce petit navire désemparé durant les convulsions de la mer et du ciel. Elle est d’une exactitude scrupuleuse, et la fatalité s’y trace en caractères dignes d’elle. Byron a connu par lui-même les foies de la mort présente et visible dans la tempête ; il a suivi avec une rigueur tout anglaise les indications de navigateurs qui, saisis et sur le point d’être dévorés, s’étaient échappées par miracle des serres du monstre. L’Angleterre est riche de ces témoignages : toute une série de naufrages a été mise à contribution par le poète, qui n’avait pas besoin de sortir de chez lui pour satisfaire son amour des réalités ; les mémoires du commodore Byron suffisaient, et les émotions vraies de l’oncle sont devenues la poésie énergique du neveu. Pas un fait qui ne soit emprunté à des relations authentiques ; si le pauvre Pedrillo est mis en quartiers et mangé, non-seulement cette peinture de l’anthropophagie est exacte, mais une date et une autorité accompagnent les moindres détails de ce festin de la rage. Le poète n’a pris sur lui ni la suprême requête de Pedrillo, qui