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indignatio versum ? C’est affaire à Goethe, le poète heureux et jouissant de lui-même comme un Jupiter olympien, c’est affaire au poète du spinozisme de s’arranger de l’ordre impassible de la nature et des accidens des révolutions politiques. Byron, comme son maître Juvénal, a quelque chose qui bat sous sa mamelle gauche, et qui ne saurait s’accommoder des injustices des gouvernemens pas plus que de ses doutes sur la providence. Nul n’a rendu au poème de Don Juan un hommage plus décisif pour la gloire de Byron que l’auteur de Faust ; mais il regrette sous toutes les formes l’esprit de négation que l’on y trouve répandu. Quand on est parvenu à se persuader que le mal et le bien, que l’homme et l’animal, la vertu et le crime, sont à un titre égal dans le monde, la sérénité n’est pas très difficile à obtenir. Goethe est sage, Byron est emporté. Si pourtant cette demi-indifférence, si cette abdication bénévole de la personnalité, ont peine à entrer dans un cœur qui ne se repose point d’ailleurs dans l’idée d’un dieu père des hommes, tous ces calmans de la philosophie de Spinoza ne servent qu’à l’aigrir ; tout devient aliment à la colère, sinon au désespoir. Sans vues personnelles, sans petites jalousies, lord Byron n’épargne ni poètes lauréats, ni écrivains mercenaires, ni généraux comblés d’honneurs et de traitemens, ni hommes d’état serviles, ni princes corrompus ou corrupteurs ; il provoque en duel, il tient successivement à la pointe de son épée presque toute l’Angleterre contemporaine, qu’il connaît bien maintenant, et dont il semble avoir employé la faveur à se procurer de bonnes armes contre elle. Byron correspond parfaitement à l’Angleterre de Wellington, avec lequel du reste il engage des combats singuliers. Le duc a tenu bon et a battu le poète : lutte inégale, où le vainqueur de Waterloo avait avec lui la royauté, le parlement, la noblesse, la nation entière, où celui qui s’acharne à nier son triomphe et à ternir sa gloire est réduit à invoquer les générations libres à venir. L’un ne se défendait que par le souvenir de ses victoires, ou de loin en loin par de sobres discours qui rappelaient Scipion l’Africain montant au Capitole, l’autre combattait avec les accens d’une colère qui n’était pas toujours celle de la vertu.

La passion qui fait jaillir les vers ne s’appelle pas toujours la colère, elle s’appelle aussi l’amour, la terreur, l’ivresse de la poudre et du sang. Connaissez-vous un second poème où tout cela surabonde comme dans les neuf premiers chants de Don Juan ? Ici nous n’avons qu’à rappeler ce qui est présent à toutes les mémoires. L’amour ! Voyez comme dans cette première partie de l’ouvrage la parole du poète se vérifie, et comme la passion qui porte ce nom se tourne merveilleusement en poésie sous sa main !