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part d’affectation. Il fait sa mélodie favorite des vents qui mugissent avec violence, du cri lugubre des hiboux qui battent des ailes et ouvrent leurs larges yeux brillant d’une sinistre lueur. Cependant ce misanthrope amoureux de la solitude avouera les frissons dont il se sent saisi dans les salles désertes de ses palais italiens. Il n’a jamais adoré cet écho de la voix des hommes qu’on appelle la gloire ; au milieu de la foule, il a vécu en étranger. Pourquoi cependant prête-t-il l’oreille au bruit qui se fait là-bas de son nom ? Pourquoi parle-t-il aux hommes, s’il est dégoûté d’eux, et leur donne-t-il deux ou trois volumes par an, s’il dédaigne d’en être lu ? Pourquoi ces strophes harmonieuses sur le mépris du suffrage des contemporains, sinon pour l’obtenir ? L’orateur romain avait bien raison : c’était encore pour mériter la gloire que les philosophes écrivaient contre la gloire.


IV

Byron est de ceux qui ont voulu jeter eux-mêmes leur masque et montrer leur vraie figure. Dans l’œuvre étrange du Don Juan, il reprend sa première veine ; il est dans son naturel, et cette dernière période, partagée entre ses drames et le poème qu’il a si bien appelé une satire épique, ressemble à la première, où il est sérieux dans son recueil de poésies et ironique dans la diatribe des Bardes anglais. Sans doute la grimace du rire est de toutes la plus insupportable, et c’est peut-être pour cela que les longues plaisanteries fatiguent. Seize chants de suite sur le même sujet, quatre fois plus que dans Childe-Harold, sans épuiser la verve de l’auteur ou la curiosité du public, voilà déjà une preuve que Byron ne s’était pas trompé sur la nature de son talent. On peut regretter, si on le veut, qu’il ait abandonné Homère ou Virgile pour suivre Diogène et quelquefois Rabelais ; on ne peut dire qu’il ait manqué à sa vocation. A l’origine même de son Childe-Harold, il avait songé à s’approprier les formes de l’épopée moitié chevaleresque, moitié badine des Italiens ; il trouvait maintenant l’occasion favorable pour obéir à ses préférences.

Le temps et les circonstances lui semblaient appeler à grands cris un Arioste. Depuis la chute de Napoléon et l’avortement, au moins apparent, de la révolution française, le monde offrait le spectacle d’une comédie sans dénoûment. Les souverains alliés, ne parlant que de religion et de vertu, oubliaient les libertés promises, et ne songeaient qu’à imiter celui qu’ils avaient désigné comme tyran à la haine publique. Le poète croyait assister à une grande mascarade. L’Angleterre même, la seule nation qui n’eût pas été foulée par le