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religion, accuse d’impiété les nefs humaines qui volent à travers des chemins que la destinée leur avait interdits. Voilà l’expression constante des religions et des poésies antiques. Byron est païen lorsqu’il se réjouit des vengeances de la mer et qu’il applaudit au triomphe de l’océan sur l’homme ; mais qu’il est moderne dans la belle audace avec laquelle il triomphe du monstre, et lui passe la main sur la crinière comme à un cheval dompté ! Ceci nous ramène aux prétentions de Childe-Harold. Il veut trouver dans la création des tendresses particulières qu’elle n’a pas pour les autres hommes, et ce ne serait pas bien comprendre Byron que de ne pas découvrir en lui cette aristocratie qui le suit jusque dans le sentiment de la nature. Après avoir reconnu que cette misanthropie qui fuit les hommes et se repose dans la contemplation des objets extérieurs fournit les élémens d’une sorte de philosophie, il est temps de montrer ce qu’elle a d’artificiel, même dans ces deux derniers chants, et par où le type qui la représente, tout épurée tout agrandi qu’il soit, commence à vieillir.

Nous nous plaignons tous les jours des écrivains qui, sous le prétexte de représenter la réalité, consacrent leur plume à dévoiler ce que la pudeur publique ordonne de cacher, et prétendent, guérir les plaies morales de notre temps en employant leur talent au soin de les étaler. Nous leur opposons leurs devanciers, dont l’imagination ou l’éloquence entraînait les cœurs loin de ces honteuses vulgarités ; nous leur citons tant d’œuvres brillantes ou passionnées qui sont encore aujourd’hui les véritables titres littéraires de notre siècle. Nous avons raison, et la gloire des pères, quand elle n’est pas l’aiguillon des enfans, est leur châtiment mérité ; mais songeons-nous à faire dans cette gloire même le discernement qui convient, et n’oublions-nous pas qu’elle fournit aux erreurs actuelles plus d’une excuse ? Interrogez hardiment la jeunesse : quelles sont ses idoles ? Elle aime, elle adore ceux en qui elle croit apercevoir la franchise ; elle leur pardonne tout, pourvu qu’elle les croie sincères. Quelles sont ses aversions ? Elle déserte, elle fuit tous ceux qui semblent jouer un rôle, étudier une attitude convenue quelle qu’en soit la noblesse. Elle ne leur pardonne même pas leur talent, qu’elle regarde comme un piège de plus. Demandez-lui ce qu’elle pense de tous ces types tant vantés, Werther, René, Oberman ? Werther, fou d’amour et enivré de son poétique panthéisme, se donne la mort après avoir beaucoup et bien parlé au nom de son auteur, qui se porte bien, et qui recueille durant de longues années des moissons toujours nouvelles d’honneurs et de gloire. René est le portrait d’une âme orageuse qui va éteindre de l’autre côté des mers, parmi les sauvages, les désirs immodérés dont l’original avait