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caractéristique dont nous voulions parler. Enfant gâté de sa patrie et de la société anglaise, il prétend être aussi de la nature ; les dangers de l’homme sur la mer assaisonnent ses joies :


« Roule, roule sans cesse tes vagues bleues et sombres, profond Océan ! Mille flottes balaient en vain ta surface. L’homme laisse sur la terre la trace des ruines, mais son pouvoir s’arrête sur tes bords. Sur la plaine humide, les désastres sont tous ton ouvrage, et il n’y a aucune ombre des ravages de l’homme, si ce n’est pour l’instant fugitif où, semblable à une goutte-de pluie, il s’enfonce dans tes profondeurs ; un sanglot, quelques bulles d’eau, et c’est tout ; point de tombe, il s’enfonce sans glas funèbre, sans cercueil, inconnu !

« Ses pas ne font point de trace sur tes chemins, tes domaines échappent à ses dévastations. Tu te soulèves et le rejettes loin de toi ; le lâche pouvoir qu’il possède pour la destruction de la terre, tu le méprises absolument. De ton sein, tu le lances au ciel, frissonnant dans la joyeuse écume et hurlant après ses dieux. Tu le pousses vers le port ou vers la plage prochaine où il a placé toutes ses espérances ; mais tu le brises contre terre : qu’il reste là où il t’a plu de le jeter !…

« Et je t’ai aimé, Océan ! et la joie de mes jeunes années a été de me faire porter sur la poitrine, comme un brin de ton écume, dans la vaste étendue ; tout enfant, je me jouais au milieu de tes brisans. Ils étaient mes délices, et si la mer, venant à fraîchir, en faisait une terreur, c’était une crainte qui me réjouissait., car j’étais comme ton fils, et j’avais confiance dans tes vagues loin du rivage comme auprès, et je passais ma main sur ta crinière, comme je le fais ici. »


Est-ce un fils des Scandinaves, est-ce un poète d’Athènes ou de Rome que nous entendons ici ? Ne vous hâtez pas de prononcer. Sous ces strophes si originales et si modernes, il y a l’esprit du fatalisme antique. Harold, terminant sa carrière près du vaste élément qui représente le mieux l’infini dont nous sommes accablés, Harold ne rappelle-t-il pas le prêtre homérique, le vieux Chrysès, qui promenait ses douleurs le long de la mer retentissante ? Où voyons-nous cette mer irritée contre l’homme quand il sort des limites de sa destinée, et franchit l’océan opposé comme un obstacle à ses entreprises, si ce n’est dans les poètes anciens ? Cet Horace que Byron n’aimait point, parce qu’on lui en imposait la lecture à l’université, cet Horace qu’il vient de rouvrir en approchant du Soracte, a dit avant Byron, ou plutôt il a répété avec toute l’antiquité que le Dieu suprême avait séparé par l’inviolable barrière de l’océan les diverses parties de la terre. Le poète de Venouse, repris dans un élan d’amitié d’un souffle de