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chemins impraticables ? Pour ne pas parler de son cœur aux désirs sans bornes, puisque après tout l’amour n’avait pas présidé à cette union, la vie même de lord Byron était une contradiction constante à la vie anglaise ; il travaillait la nuit, dormait le jour, mangeait par aventure, buvait de l’eau presque toujours, et s’enivrait quelquefois. Le mariage de miss Milbanke avec Byron et celui de l’Angleterre avec Childe-Harold ne réussirent pas mieux l’un que l’autre. Toutes deux s’étaient flattées qu’elles gagneraient cette nature indomptée ; toutes deux, s’apercevant de leur erreur, l’abandonnèrent ; elles firent mieux, elles mirent leurs intérêts en commun, — miss Milbanke, au lieu d’articuler des faits, se contentant d’avoir pour elle l’opinion publique, l’Angleterre prenant la défense de miss Milbanke et faisant de la cause particulière de celle-ci la cause de la patrie et de l’honneur de tous. Non-Seulement Byron ne se plaisait pas dans son pays, mais il avait résolu de partir pour l’Orient, si la demande qu’il avait faite de la main de la jeune héritière était définitivement rejetée. Assurément il ne pouvait choisir une épreuve plus décisive pour savoir s’il devait se caser et s’installer dans la société anglaise. Toutes ces circonstances ôtent à son exil l’apparence même d’une péripétie dramatique.

Cependant il y avait un air de grandeur dans ce départ, et le second Childe-Harold n’est pas dépourvu d’une sorte de majesté triste qu’il convient de reconnaître avant d’essayer de la réduire à sa juste valeur. « Encore une fois sur les mers ! » s’écriait-il en jetant un méprisant adieu à une patrie au sein de laquelle il lui était impossible de vivre. Devenu citoyen de la terre, il s’élève au-dessus de la qualité d’Anglais, et, s’il ne regarda pas du même œil que Virgile et Horace ce peuple séparé du monde et le dernier qu’on trouve sur les confins de l’univers, s’il ne va pas comme Cicéron jusqu’à prendre les Bretons pour échantillons de l’extrême barbarie, il attache du moins peu de prix à la place qu’il possédait au foyer commun, et il s’achemine par le continent vers le berceau de notre civilisation à nous tous, peuples d’Occident, vers Rome, la seconde patrie des nations européennes. « O Rome, ô mon pays, ô cité des âmes ! » s’écrie-t-il à la strophe 78e du quatrième chant. Une fois arrivé là, le pèlerin déposera son bâton de voyage, puisqu’il aura trouvé l’autel qu’il cherche et les reliques qu’il adore. Ne vous y trompez pas, on ne réussira jamais, quoiqu’on l’ait essayé, à faire de Byron un Français né en Angleterre ; par ses qualités comme par ses défauts, il tient à sa race, et, s’il s’en écarte, c’est pour remonter plus haut dans le temps. C’est un petit-neveu des anciens ; son esprit et son talent sont travaillés d’une nostalgie qui le rappelle vers Rome et Athènes. Ce que vous ôtez à Byron de sa