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La bure du sinistre moine pour le caftan de Sélim dans la Fiancée d’Abydos ; c’était la première ébauche de ces héros aussi fiers et intraitables qu’ils sont amoureux, âmes indépendantes, nées pour la liberté de la vie errante sur les mers et pour les joies qui font bondir le cœur de l’Arabe lancé au galop de son cheval dans le désert illimité. Singulier partage entre la comédie et la réalité ! C’est pourtant là le retentissement lointain de nos principes de 89, et voilà les droits de l’homme qui palpitent confusément dans les discours de cet enfant de l’islam. Sélim, c’est encore Byron, et jusqu’ici telle est la forme passionnée, personnelle, antisociale, sous laquelle il comprend la révolution. « Ma Zuléika, partage avec moi mon navire, et apportes-y le bonheur ! » Qui se douterait que ces vers charmans d’ailleurs, ont fleuri au souffle de liberté qui venait du continent ? Il faut faire quelque effort pour les faire revivre avec toute leur fraîcheur. Voici le Corsaire, qui réunit à la sauvage indépendance de Sélim les remords superbes du Giaour. Brillant comme le premier, farouche comme le second, Conrad est la perfection suprême du rôle qu’il a plu à Byron de jouer devant l’Angleterre, ébahie de tant d’audace, d’éclat et de talent. Il y met la dernière main le 31 décembre 1813.

A partir de ce moment, la comédie du poète ne peut que faiblir. Chose remarquable, Byron l’a si bien senti que trois mois après il écrivait à son-éditeur sa résolution de ne plus rien écrire : ; il accompagnait même sa lettre d’avis d’une traite pour payer tous les exemplaires de ses œuvres restant encore en magasin. Il avait périodiquement de ces velléités de briser la plume qui faisait sa gloire ; elles annonçaient toujours une crise dans ce génie orageux, à qui il fallait une tempête pour se renouveler. Cependant deux ans devaient s’écouler encore avant que cette période, la période la moins sincère de son talent, fût accomplie ; cette fois l’épreuve décida de son sort et coupa sa vie en deux parties qu’aucune force humaine n’était capable de rapprocher désormais : la tempête fatale fut le mariage et la séparation.

Dans ces deux années, il épuisa la vogue de ses poèmes romanesques. Lara est la suite du Corsaire, et, quoique la mort de son héros soit d’une grande beauté, le poème nouveau, partageant la destinée de toutes les suites, fut inférieur au précédent. Remarquez néanmoins l’effort du poète pour renchérir sur lui-même et pousser à bout le succès. Lara revient d’Orient dans son pays, qui est l’Espagne. Comme l’auteur, il est entouré d’un profond mystère et laisse croire à des crimes qu’il aurait commis ; comme lui, un page qui parle une langue inconnue l’accompagne et pique la curiosité universelle ; comme lui, il assemble des amis dans son