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donna une comédie qu’un poète de naissance obscure n’aurait pu soutenir, et où la dignité comme le succès devait tôt ou tard faire naufrage. Après avoir commencé par jouer le scepticisme et la misanthropie, il arrivait à feindre le remords, et je ne sais quels crimes imaginaires. On sait que des personnes désintéressées et des critiques très sagaces ont pu se tromper à ces faux semblans : avant l’époque où des relations par correspondance s’établirent entre eux, Goethe crut sérieusement que la conscience de Byron était chargée de quelque noir attentat, et, avec la méthode de l’induction servie par l’ingénuité allemande, il se mit en devoir de le prouver. Aussi ne faut-il pas s’étonner que ces petites épopées, orientales, espagnoles ou italiennes, aient été les premières à souffrir des atteintes du temps : la vérité leur manquait trop. Sans doute la touche puissante du maître y respire encore en bien des pages ; mais la manière y est plus visible que dans tout le reste de son œuvre. Les harmonies originales et fortes de cette poésie enchanteresse nous ravissent toujours ; mais l’accent général manque de franchises. Aujourd’hui les hommes de cinquante ans ne peuvent aisément renoncer à leur primitive admiration pour ces récits qui les ont passionnés : ils retrouvent peut-être dans cette lecture leur émotion d’autrefois, et l’on n’aime pas à s’être trompé ; mais la génération qui les suit n’est pas facilement dupe de ces criminels héroïques, de ces assassins fidèles en amour, de ces pirates pleins de délicatesse, de ces aventurières dévouées, de ces odalisques courant le monde en habit de page. Bien des peintures byroniennes qui charmaient leurs devanciers font sourire les hommes de ce temps. Aujourd’hui comme alors, Goethe a raison : l’auteur de ces récits possède le secret des beaux dénoûmens ; cet écrivain qui connaissait si peu les exigences de la scène était hors du théâtre admirablement dramatique. Aujourd’hui comme alors, on goûterait les impressions de terreur, de pitié ou d’amour qu’il communique aux âmes dans ces récits ; mais il serait impossible de notre temps de concevoir qu’un poète de vingt-quatre ans offrît à une société tout entière la représentation inouïe qu’il fut donné à Byron de prolonger durant quatre années. On le vit d’abord sous le nom du Giaour, « qui ne sait ni gémir ni pleurer, » et, drapé dans sa robe de caloyer, promener à travers une foule d’admirateurs l’orgueil d’un crime à demi caché et d’une confession plus audacieuse encore. Pour la première fois dans la religieuse Angleterre, un poète osait avouer des désirs sans frein et la résolution de les satisfaire ou de mourir. L’énergie était à la mode ; qui savait où finissait Byron, où commençait le Giaour ? Si la fidélité dramatique excusait tout, la personnalité flagrante du rôle permettait de tout supposer ; Il dépouilla bientôt