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rencontra Byron à Milan sept ans après. Henri Beyle, qui se connaissait en fatuité, ne fut pas dupe de Childe-Harold. S’il a osé dire, lui qui osait tout, que l’illustre poète n’était au fond qu’un dandy, ce mot ne fut vrai qu’un instant, celui qui nous occupe en ce moment, de 1809 à 1812. Il ne l’était déjà plus lorsque Beyle le prononça. Le mélancolique pèlerin, en 1812, s’arrêtait à une égale distance du misanthrope et du bon Anglais. Il revenait dans sa patrie après l’avoir détestée ; mais, différence profonde avec les chants suivans, il était ramené à des sentimens plus calmes par le spectacle des bassesses du continent : pour l’orgueil britannique, cette rançon des anciennes injures était suffisante. L’amour, quoique dédaigné, occupe encore la bonne place dans son cœur ; le souvenir d’une femme règne sur cette épopée personnelle, et l’auteur maintient juste assez la distinction entre lui et son héros pour que les lecteurs prennent sur eux de les confondre en un seul et même homme. Au milieu de ce mystère, de ces demi-confidences, de ces attitudes savamment étudiées, le public d’alors, pour qui l’apprêt même et le rôle étaient une amorce de plus, entrevoyait des horizons, nouveaux. L’amour, la gloire, la religion, la nature, la liberté, l’amour surtout, sont touchés d’une manière toute nouvelle. Les femmes contribuèrent grandement au succès d’un homme qui affectait de les dédaigner toutes, à l’exception d’une seule. Un peu de scepticisme à l’endroit de la religion, un peu de dégoût d’une société factice et tyrannique, firent le reste. L’abus des raffinemens de la vie sociale précipitèrent les lecteurs à la suite d’Harold dans les solitudes où il fuyait les hommes. On gravissait avec lui les monts escarpés, avec lui on se penchait sur les précipices et sur les cascades écumantes. Après avoir erré en imagination dans les sites les plus sauvages, après avoir conversé avec la nature, on revenait avec plus de plaisir dans un monde moins alpestre et à des conversations moins dithyrambiques. On faisait, comme l’auteur et en moins de temps que lui, le tour de la vie humaine. On passait de la société à la solitude et de la solitude à la société, non en deux ans, mais en deux heures. Le succès des deux premiers chants de Childe-Harold fut une véritable explosion, et Byron se prêta de la meilleure grâce à ce compromis entre le vrai et le convenu.

Le succès de Childe-Harold fut un piège pour son talent. Dans les romans versifiés qui de 1812 à 1816 succédèrent aux deux premiers chants de ce poème, le rôle prit une place de plus en plus grande, et cette sorte de mascarade, où il se plaisait à calomnier son caractère, ne piqua pas moins l’amour-propre de l’auteur que la curiosité du public. Du Giaour au Corsaire et de Lara au Siège de Corinthe, par une sorte d’affectation progressive, le jeune lord