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Aggravantes. Le Timon d’Angleterre quitte une première fois son pays avec un commencement de misanthropie que nul ne prend au sérieux, parce qu’il n’a encore que vingt et un ans, et que sa vie est à peine connue. Au retour, il accommode sa haine des hommes avec les exigences et les succès de la vie sociale. Sept ans après, il s’embarque de nouveau ; mais le monde l’a connu, l’a vu de près, l’a percé à jour. Faut-il s’étonner que le même orgueil ait produit le même éclat, mais avec des conséquences différentes, et que le second accès de misanthropie ait produit une rupture définitive ?

Où allait Byron ? N’ayant pas d’avenir assuré, à deux doigts même de la ruine, si l’une de ses deux propriétés ne se vendait pas, il quittait tout simplement l’Angleterre sans esprit de retour. L’univers était ouvert devant lui, et il partait laissant la conduite de ses affaires à la destinée ; résolu, si sa confiance au hasard le trompait, à prendre du service en Russie, en Autriche ou même chez les Turcs. Il aurait pu finir dans ce premier exil volontaire comme un aventurier ; au bout de son second exil, le sort tenait en réserve pour lui la mort d’un héros. Son imprudence l’exposait à devenir le soldat des tyrans de la Grèce ; l’expérience acquise dans ses voyages et une générosité de sentimens qui jamais ne s’éteignit dans son cœur en firent le soldat et le martyr de la liberté grecque. Cette âme qui semblait si indomptable se laissait aller avec une docilité singulière aux caprices du sort. Au moment où il se disposait à partir, en juin 1809, de faux bruits représentaient Napoléon comme battu, Paris en révolte contre l’empereur ; quelques jours après, il assistait avec indifférence à la lutte des Anglais contre nous en Espagne. Il ne prit parti ni pour les uns ni pour les autres, il flétrissait la guerre, et, poursuivant la gloire de ses sarcasmes, il ébauchait sa philosophie sur la vie et l’humanité. C’est en parcourant le monde qu’il a ramassé les traits du personnage altier de Childe-Harold.


II

La nécessité seule de montrer ce qu’il a de faux nous oblige de crayonner à notre tour son image si connue. Qui ne se souvient de ce pèlerin de la misanthropie que l’horreur de la société des hommes a jeté dans une admiration passionnée de la nature, de cet orgueilleux pénitent qui repousse la coupe épuisée du plaisir parce qu’il dédaigne de la remplir encore, de ce stoïcien d’une nouvelle école qui a toujours des yeux pour la beauté, mais qui n’a plus ni cœur ni sens pour elle, de cet étrange sceptique doutant de tout et méprisant ceux qui avant lui ont douté, de ce grand