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Voilà comment Byron est classique, et si plus tard il s’accuse d’avoir grossi le nombre des corrupteurs de la langue et de la littérature, son péché date du temps où il flattait la mode, du temps de ses romans versifiés et de la première moitié de son Childe-Harold. Il se fait d’ailleurs plus fidèle à Pope qu’il ne l’est réellement, et sa ferveur n’est sauvent que le besoin de châtier le prochain. Walter Scott, Southey, Coleridge, Moore, Bowles et beaucoup d’autres moins connus, tous reçoivent les coups de sa férule. Deux ou trois seulement sont ménagés, ceux qui pratiquent les commandemens du vieux maître. Sa satire est donc une suite à la Dunciade. Ni tories ni whigs ne sont épargnés ; le noble Mécène de l’opposition, lord Holland, a sa petite part dans les coups de fouet destinés à ses protégés ; il n’est pas jusqu’à lady Holland à qui il me donne un peu sur les doigts, ces doigts gracieux qui corrigent les épreuves de la Revue d’Édimbourg. Remarquez bien que dans les années qui vont suivre Byron déposera de respectueux baisers sur ces doigts brutalement meurtris. Il appliquera du baume sur bien d’autres vives blessures, et passera une main caressante sur les dos qu’à tort ou à droit il a fustigés. La trêve ne durera que sept années, juste l’intervalle nécessaire pour donner à Byron le temps d’épuiser sa faveur, à ses victimes de guérir leur épiderme endolori. Alors Southey, Wordsworth, Coleridge, Bowles, passeront de nouveau par les verges implacables du satirique ; Don Juan renouvellera la veine des Bardes anglais avec une richesse inouïe ; la satire sera une véritable épopée, et Byron, enterrant Childe-Harold dans l’éclat de son triomphe, redeviendra lui-même.

Si l’on hésite encore à reconnaître dans ces essais de la première période le poète tour à tour audacieux et moqueur de la dernière, qu’on relise le commencement et la fin de cette satire, — le commencement, où il invoque sa plume, la plume d’oie qui remplace dans sa main l’épée des Byron, compagnons de Guillaume le Conquérant, la fin, où, semblable à un héros antique, il entrevoit la ruine possible d’Albion. « Un jour viendra qu’Ilion sacré périra. » Ne voilà-t-il pas ce mélange de satire et d’épopée qui est la marque essentielle du génie de Byron ? Il part pour l’Orient, et pour dernier adieu jette un défi à presque toute la littérature, « aux pillards d’Ecosse comme aux sots d’Angleterre, » Il part sans autre objet que de fuir sa patrie, qu’il a prise en dégoût, de fuir des hommes qu’il méprise. On a tenté quelquefois d’expliquer l’exil définitif de Byron sans l’attribuer au rigorisme ou à la dureté de la société anglaise. Ces apologies laborieuses deviennent, à notre avis, inutiles, si l’on rapproche le premier départ du second. C’est la même histoire qui se renouvelle, accompagnée seulement de circonstances