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Il se calomnie pourtant, car il croit à l’amitié. Cette foi vit encore en lui, et jaillit en vers touchans, les meilleurs du recueil. Jamais on n’a mieux loué les amis de collège, aimant sans calcul et chéris sans réserve : heureux souvenirs, portraits suspendus au sanctuaire encore inviolable de l’âme, ceux sur lesquels après tout on est le moins exposé à étendre le voile noir de l’oubli ou de la défiance ! L’amour des camarades de collège, doux sentiment toujours, et rarement sans noblesse, survivra le dernier dans le cœur de ce jeune homme qui s’appelle Byron, et qui, dans seize ans, interrompra le perpétuel éclat de rire de son dernier poème pour donner quelques larmes au regret des amitiés perdues.

Le sarcasme inséparable du vrai Byron, le rire amer toujours en embuscade derrière les pensées les plus sérieuses, fait défaut dans les Heures de loisir. A peine est-il possible de le deviner dans quelques moqueries sur l’université de Cambridge et sur les professeurs. Attendez ; le voilà qui paraît assez librement dans la satire célèbre des Bardes anglais et des Critiques écossais. Elle est bien peu lue aujourd’hui ; les œuvres subséquentes l’ont effacée, surtout chez nous. Elle éclatait lorsque la guerre élevait une barrière entre l’Angleterre des tories et la France de Napoléon. Trente ans plus tôt, cet événement littéraire (le mot est rigoureusement juste) ne nous serait pas resté inconnu. Elle est la peinture hardie de l’Angleterre du temps, telle que pouvait seul la tracer le futur auteur de Don Juan. Le tableau des mœurs et de la vie contemporaine, deux pages virulentes dont l’auteur a recueilli les élémens dans les bals, dans les théâtres, et emprunté le ton à Juvénal, n’est pas sans doute la partie la plus forte de cette œuvre ; mais la satire morale est la plus difficile de toutes, et ce n’est pas à dix-neuf ans qu’on peut avoir fait des études bien profondes sur la société. Quelques années encore, et, transfuge du monde dont il aura surpris les suffrages, il remplira des strophes qui ne périront jamais de son mépris pour les patriciens. Les derniers chants de son épopée finale suppléeront à ce qui manque ici de vigueur ; pourtant il ne dépassera pas l’audace et la franchise avec lesquelles il attaque aujourd’hui certaines personnalités, entre autres son tuteur, lord Carlisle. Là même où l’échappé de collège se trahit, on pressent le grand satirique.

S’il était bon critique autant que poète original, la partie littéraire de la satire serait un admirable modèle. Il est travaillé dès cette époque de ce besoin de renouvellement dont on le verra possédé plus tard ; il repousse toute concession à l’usage, et rejette toutes les formes convenues. On a beaucoup admiré, non sans raison, la poésie intime qui a charmé l’Angleterre depuis cette nature honnête