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reproduire toujours les mêmes formes, les plus familières, celles qui sont le mieux connues, l’éternelle statue humaine empreinte d’une sorte de beauté conventionnelle et idéale. On ne peut guère concevoir de progrès dans cet art, où les Grecs du premier coup ont atteint la perfection. On est réduit, pour varier un thème aussi immuable que notre espèce même, à modifier l’expression, la physionomie, cette langue si vive et si souple des passions, le costume, les enveloppes de la vie. L’architecture est de tous les arts celui qui offre à l’esprit le moins de problèmes et qui obtient les admirations les plus naïves et les plus faciles. Il répond à des besoins matériels connus de tous, ressentis par tous, il n’a point de mystères ; mais pour assurer son empire à quelle simplicité il se réduit ! Il n’admet que les formes, les lignes, les contours que l’esprit le moins plié à la géométrie est capable de saisir. L’esthétique populaire n’est satisfaite que par ce que l’intelligence comprend pleinement. Qui ne devine du premier coup les propriétés de la ligne droite, des parallèles, du cercle ? L’architecture n’emploie guère d’autres élémens ; dans le temple grec, il n’y a que des lignes droites ; l’architecture romaine y ajoute le cercle, la sphère. L’architecture byzantine se contente de ces formes ; elle coupe les sphères par des cylindres ou d’autres sphères, et ces intersections géométriquement si simples plongent pourtant l’esprit dans la stupeur et l’inquiétude. L’œil qui voit s’échapper les gerbes de pierre des pendentifs ne reconnaît plus les cercles vus en perspective. Sous les coupoles de Sainte-Sophie, de Saint-Pierre, l’on n’éprouve plus le sentiment de sécurité qu’on respire sous la sphère solide du Panthéon d’Agrippa, dont le sommet est pourtant ouvert comme un grand œil vers le ciel. La grande coupole de Sainte-Sophie, coupée à la base d’un jet de lumière qui se répand par une ligne de fenêtres circulaires, semble se détacher des demi-coupoles qui l’environnent et monter vers le ciel. Dans la croix grecque de l’Orient, comme dans la croix latine de l’Occident, l’intersection des deux bras engendre à des hauteurs énormes des courbures qui déroutent et épouvantent le regard.

Le cercle produit dans ce cas une impression de grandeur et de terreur, bien que d’ordinaire son expression soit la force et le repos. Cette courbe convenait admirablement aux ouvrages solides de Rome, à ses aqueducs, à ses ponts, à ses portiques. Elle donne aussi son empreinte à l’art roman, elle se prête à la méditation et au silence des cloîtres, à la construction des cryptes lugubres, basses et profondes, qui rappellent les humiliations et les persécutions des premiers siècles de l’église ; le plein cintre de la nef, par son caractère ferme et invariable, représente mieux le dogme encore