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dehors, le symbole est aussi clair ; toutes les lignes montent au ciel, comme une exclamation ou une prière. D’un jet hardi, les flèches, les clochers, s’élancent ; la ville des hommes se presse, se groupe humblement autour de la maison de Dieu ; d’humbles échoppes sont cachées entre ses flancs mêmes. Telle était du moins l’église du moyen âge ; elle ne rougissait pas de donner asile aux industries humaines, elle ne s’entourait pas de grandes places nues, et surgissait du peuple noir et bas des demeures vulgaires.

Dès qu’il y a correspondance visible entre un édifice et l’idéal ou la nécessité qui a guidé le constructeur, il y a œuvre d’art. Partout où cette correspondance fait défaut, le goût est blessé ; ni la splendeur des matériaux, ni le luxe de vains ornemens, ne peuvent y suppléer. Un château féodal, un cloître, une maison de plaisance, une prison, un théâtre, n’éveillent pas les mêmes pensées : l’expression doit se conformer à un dessein. Les lourdes maçonneries, les blocs de pierre soulevés avec effort, les poutres colossales, une fois en place, parlent moins aux sens qu’à l’esprit. C’est à cause de ce caractère expressif de l’architecture qu’il ne faut jamais désespérer de l’avenir de cet art ; il est plus progressif, si l’on me permet ce mot, que la peinture et la sculpture. Celles-ci sont sans relation forcée avec l’histoire ; elles puisent dans toutes les époques et toutes les civilisations, ou plutôt elles cherchent toujours leurs inspirations dans l’âme humaine, et se contentent de couvrir nos passions éternelles de vêtemens changeans. La Vénus de Milo est aussi jeune qu’aux jours où elle sortit de son bloc de marbre ; le Thésée, l’Ilyssus, les Parques du Parthénon, ont-ils un âge ? Affranchis de toute servitude directe, libres de suivre tous les caprices de la mémoire ou de l’imagination, ces arts ont une liberté que ne possède pas l’architecture. Celle-ci a des chaînes plus matérielles, elle est asservie à une foule de nécessités qui changent avec les temps, les lieux, les civilisations ; par là même, elle est sujette à des transformations constantes. Tantôt en progrès, tantôt en décadence, elle ne peut rester immobile. Veut-elle s’assujettir à des styles anciens, elle est contrainte de les forcer, de les dénaturer, de les plier à des services et des emplois nouveaux. C’est dans les ruines que nous trouvons les témoins les plus fidèles des vieilles civilisations. Leur âme respire encore dans ces pierres disjointes et rompues ; nous y retrouvons à la fois ce qu’elles avaient de plus idéal et ce qu’elles avaient de plus vulgaire ; elles nous révèlent non-seulement la pensée, mais la vie du passé.

En analysant, comme nous venons de le faire dans cette étude, les règles et les limitations de la sensibilité, on se trouve conduit à conclure que l’art n’est pas plus que la vision elle-même