Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de naïveté barbare. Un homme entier pouvait se blottir dans les cannelures du temple de Jupiter Olympien, élevé à Agrigente au Ve siècle avant Jésus-Christ, et les atlantes qui, debout sur les piliers, soutenaient de leurs corps musculeux, de leurs bras épais et de leur tête bestiale la corniche de la nef, étaient des géans de 8 mètres de haut. A Sélinonte, à côté de temples très petits, on en trouve un dont les proportions dépassent celles de la Madeleine à Paris. La hauteur des colonnes, avec l’entablement, atteignait plus de 23 mètres. Couchées sur le flanc, elles ont, sur le diamètre des tambours, près de deux fois la taille d’un homme. Néanmoins, dans l’art grec arrivé à son expression la plus haute, la beauté naît de la proportion plutôt que de la grandeur ; le temple, où toutes les parties se complètent et se font équilibre, est l’image visible d’une civilisation heureuse, amoureuse de l’art, d’un culte qui croyait flatter les dieux en leur donnant la figure humaine. Quelle liberté partout, quel mouvement, et cependant quel calme et quelle majesté ! Les dimensions horizontales dominent, nul effort encore vers le ciel, nul détachement du sol ; les belles lignes parallèles évoquent l’idée de la force, de la durée, mais ne jettent point l’esprit hors de la terre. Le mystère se cache à l’intérieur, tous les enchantemens sont extérieurs ; le peuple circule entre les hautes colonnes, le rayonnement de la beauté se fait au dehors, non au dedans.

Nos âmes troublées, toutes pénétrées d’un autre idéal, sans cesse jetées hors d’équilibre, ont quelque peine à comprendre ces formes du beau si paisibles, où tant de grâce s’allie à tant de force, tant de simplicité à tant de majesté ; nous en devinons plutôt que nous ne pouvons en éprouver le charme. Les archéologues peuvent mesurer les fûts, les colonnes, les frises, les modules : peuvent-ils nous rendre l’idéal qui a inspiré ces œuvres merveilleuses ? Qui de nous a l’âme d’un Grec ? L’âme humaine n’est plus en floraison, et son printemps est depuis longtemps passé ; mais comme nous comprenons aisément et du premier coup les correspondances entre l’idéal et l’art chrétien ! Comme tout s’explique en cet apparent désordre ! Les lignes parallèles ne sont plus horizontales, elles se dressent, montent en faisceaux hardis, ne se laissent interrompre par rien, vont droit aux plus inaccessibles hauteurs, et se perdent en entrelacemens confus. Tout exprime l’élan vers l’infini ; la lumière fantastique des vitraux jette des lueurs étranges, le cercle se brise et s’aiguise en ogive ; l’imagination, épouvantée par l’élévation vertigineuse de la nef, trouve des asiles sombres dans les chapelles qui s’abritent entre les puissans contre-forts. L’ardeur religieuse peut à son gré s’exhaler dans des espaces immenses et lumineux ou se concentrer dans l’ombre de réduits étroits et silencieux. Au