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beau ? Ici le beau naît spontanément ; il suffit de quelques colonnes, d’une architrave, d’une frise, d’une corniche, des formes les plus élémentaires, les plus rationnelles. Les vieux temples doriques, dont les lourdes colonnes cannelées n’ont ni piédestal ni même de moulures au pied, dont la frise n’a d’autre ornement que les triglyphes qui rappellent encore les temples de bois, ont une expression aussi grandiose, aussi sublime, plus sublime peut-être, que les temples plus riches des époques postérieures. Aux temps où l’art grec s’est le plus assoupli, ou le style moins farouche et moins mâle admet le plus d’ornemens, combien le caprice est encore contenu, comme la fantaisie du sculpteur reste obéissante aux desseins de l’architecte, comme les lignes demeurent pures, les proportions nettes et visibles !

Sous le ciel changeant, à la lumière humide, capricieuse, mais toujours modérée du nord, l’œil ne trouve pas les mêmes enchantemens à la simple vue des glandes surfaces, des lignes parallèles de l’architecture grecque ; d’un autre côté, la sensibilité aux nuances, aux détails, est plus affinée, l’ornement devient le charme principal de l’architecture : l’art s’ingénie de mille manières à le varier, à l’assouplir. L’église gothique se surcharge de clochetons, de pointes, de flèches, de dentelures, se hérisse d’une végétation capricieuse où l’œil erre d’ornemens en ornemens sans jamais se rassasier ; les fenêtres se subdivisent les colonnettes s’élancent, puis s’infléchissent ; partout des fleurs, des trèfles, des ogives, des figures grimaçantes, des gargouilles aiguës ; les grandes rosaces rayonnent comme des étoiles, tout un peuple de statues se niche dans les anfractuosités, se blottit dans les angles les plus obliques des grands portails ; les parois sont à jour, et l’énorme masse semble comme par mille pores aspirer la lumière du ciel.

Les édifices de la renaissance obéissent à une fantaisie moins ardente et moins déréglée ; mais ils ne s’en tiennent plus à la simplicité grecque : les colonnes se superposent et s’amoindrissent, les portiques courent en tout sens, les plans reculent, avancent, les ailes se détachent hardiment, les toits dressent sur le ciel les silhouettes les plus compliquées ; partout la sculpture jette ses fines enjolivures, elle n’épargne pas même le fût des colonnes ; elle enveloppe les portes, les fenêtres, d’un cadre léger, elle cherche la grâce plus encore que la beauté. Ces merveilles qui charment et amusent le regard sous un ciel pâle et gris disparaîtraient, pour ainsi dire, sous la lumière dévorante du midi. Transportez en Grèce une église gothique, un hôtel de ville des Flandres, un château des bords de la Loire, et ces monumens paraîtront hors de place ; leurs lignes ne s’harmoniseront plus avec les plans solennels de l’horizon,