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est comme un être nouveau, doué d’organes propres, un tout complet, un ensemble dont les parties concourent à produire un effet unique. L’Architecte se guide par les traditions, par les styles, par les convenances et les nécessités, par la nature des matériaux qu’il emploie, par les lois rigoureuses de la mécanique ; mais où trouvera-t-il ce je ne sais quoi qui doit imprimer à son œuvre l’unité et la vie ? Les dessins, les plans, ne lui donnent que des impressions imparfaites. Il faut qu’avec les yeux de l’esprit il aperçoive son œuvre achevée, qu’il mesure en pensée toutes les proportions, qu’il répande les ornemens sans créer la confusion, sans fatiguer l’imagination, que tout semble rationnel, que les moyens soient partout en harmonie avec le but, que l’œuvre enfin lui apparaisse sous son vrai jour, dans son milieu, avec tout ce qui doit l’entourer et lui servir de cadre.

L’optique étudie un phénomène bizarre connu sous le nom d’irradiation, un carré blanc placé sur un fond noir semble plus grand que sur un fond blanc. La lumière s’irradie, envahit un peu les parties obscures, y pénètre d’autant plus loin qu’elles sont plus obscures. La grandeur a son irradiation comme la lumière : une surface carrée semble plus grande quand elle s’entoure de quelques minces filets ; l’étroitesse de ces lignes donne plus d’ampleur au fond. C’est pour cela que les moulures ne sont pas de vains ornemens ; leurs lignes fermes, leurs faisceaux serrés, impriment plus de puissance aux parties qu’elles séparent. Les lignes générales nettement indiquées produisent une heureuse combinaison de grandes et de petites dimensions dont le contraste est très favorable à l’idée de grandeur. L’ornement concourt aussi à cette impression, mais à la condition qu’il ne couvre pas tout, qu’il arrête et fixe l’œil en certains points seulement. Le secret de l’architecture est dans ces alternatives de plein et de vide, de délicatesse et de force, de lignes étroites et de larges surfaces.

La sensation de la grandeur et des proportions n’est pas sans rapport avec le climat, car la sensibilité aux différences de grandeur est liée à l’intensité de la lumière. Sous le soleil radieux de l’Égypte, de la Grèce et des pays méridionaux, les nuances et les couleurs se rapprochent, les ombres sont plus transparentes, toutes les saillies doivent être fortes, le détail a besoin de simplicité, de netteté ; l’ornement deviendrait confus, s’il n’avait une expression pure et un accent vigoureux. a quoi bon sous cette adorable lumière, qui donne à la pierre même je ne sais quoi d’aérien, les découpures bizarres et compliquées, les jeux laborieux d’une géométrie savante, les contournemens, les entrelacemens, les rebroussemens qui témoignent d’une lutte et d’une sorte d’effort vers le