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l’usage universel d’entourer les tableaux de cadres dorés. Il me semble qu’en voici la raison : le propre des objets brillans est de donner aux deux yeux, comme on l’a expliqué dans l’étude sur la vision des images tout à fait dissemblables ; la vue d’un objet brillant éveille donc naturellement la sensation du relief. La saillie chatoyante du cadre prépare les yeux à l’illusion que doit produire l’image du tableau où les profondeurs et les distances sont figurées sur le même plan.

L’œil, avons-nous dit, a une indifférence remarquable à l’intensité de la lumière ; mais il est très sensible aux phénomènes de contraste, et la peinture peut en tirer des effets d’une grande puissance. La grande lumière a pour effet de rapprocher, de noyer tous les tons et d’y faire prédominer le jaune ; la lumière pâle rapproche toutes les ombres, les rend plus indistinctes et plus massives, et dans les parties claires laisse prédominer le bleu. Quand vient le soir, les tons rouges s’éteignent les premiers, une vache rousse dans un pré devient très promptement invisible ; après les tons rouges et jaunes disparaissent les tons verts, et les arbres ne montrent plus que des silhouettes noires ; le bleu du ciel persiste au contraire jusqu’au milieu de la nuit. L’éloignement, on le conçoit, produit les mêmes effets que la dégradation de la lumière ; plus un objet lumineux fuit dans le lointain, plus la couleur s’altère : les rouges jaunissent, les bleus tournent au blanc grisâtre, le pourpre devient bleu, le rose violacé. Il faut tenir compte aussi de la couleur de l’atmosphère, qui tend à bleuir tout ce qui est lointain. En vertu de la loi de Fechner, nous sommes relativement un peu moins sensibles quand l’intensité est très vive. C’est ce qui fait que les peintres, quand ils veulent représenter des objets éclairés par le soleil, répandent un glacis jaunâtre sur tous les tons, les harmonisent, les égalisent. S’il veulent peindre un clair de lune, les ombres sont opaques, et les parties brillantes sont teintées, d’une même couleur bleuâtre. Regardez le Christ mis au tombeau de Titien : la nuit est déjà venue, point de couleurs éclatantes, tout s’enveloppe d’une ombre lugubre, la tête du Christ y est entièrement perdue ; mais sur ce fond tragique on voit se détacher avec d’autant plus de force le cadavre blafard, des jets lumineux font ressortir d’une façon plus pathétique les beaux visages de saint Jean, de Madeleine. L’expression ne saurait aller plus loin ; le sublime est atteint par les moyens les plus simples et les plus naturels.

Les effets mystiques de ce que l’on nomme le clair-obscur ne sont pas obtenus autrement. Corrège est le maître en cet art. Dans sa célèbre Nuit du musée de Dresde, l’auréole qui entoure l’enfant