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il éclaire pourtant le tableau, il répand sur le fond embrasé, sur les vagues frissonnantes, sur les voiles blanches des navires, sur les angles luisans et les faces radieuses des édifices, une merveilleuse splendeur. En face de l’œuvre d’art, l’œil accepte complaisamment la mesure que l’artiste a dû forcément choisir ; il jouit très sincèrement de ces lumières ternes et crépusculaires. Sans cette précieuse faculté, la peinture serait impossible, l’œuvre des plus riches coloristes semblerait froide et misérable : nous ne verrions plus les personnages de Rembrandt transfigurés dans cette auréole mystique qu’il met au centre de ses toiles ; la Nymphe endormie du Corrège ne nous paraîtrait plus caressée par les rayons d’un vrai soleil ; le clair-obscur ne ferait plus onduler sous nos yeux la chair vivante et émue ; les images dont nos yeux se repaissent, et qui nous semblent si éloquentes, ne seraient que des spectres, des ombres. Le peintre ne peut pas essayer de lutter avec la nature par l’intensité de sa lumière, tout son art consiste dans la proportion des tons et le contraste des couleurs. Il doit avant tout parler à la pensée, solliciter la réflexion et la distraire du côté matériel de la sensation ; mais, quand il a satisfait à ce premier devoir par l’ordonnance et le choix de son sujet, il peut bien tirer parti de certaines lois de la vision pour augmenter l’expression, pour ajouter à l’illusion quelque chose et pour rehausser par une sorte de plaisir physique le plaisir idéal qu’il offre à l’intelligence. Quelles sont ces lois en ce qui concerne la couleur, les grandeurs et les formes ? C’est ce que nous allons examiner successivement.

Tout le monde sait ce que c’est qu’une consonnance ou une dissonance musicale : y a-t-il aussi des consonnances et des dissonances de couleurs ? Y a-t-il un certain art d’associer les nuancés qui donne à l’œil des satisfactions pareilles à celles que l’harmonie procure à l’oreille ? Disons-le tout de suite, si l’harmonie (musicale a des règles très strictes, fondées sur des mesures précises, l’harmonie du coloriste est on ne peut plus vague et indéfinissable. L’œil peut tirer son plaisir du contraste de deux couleurs complémentaires, parce qu’elles s’illuminent réciproquement et semblent plus brillantes par le contact ; mais il semble le trouver également dans la juxtaposition de tons très voisins, et jouir d’une sorte de douceur et d’incertitude qui en résulte. Plus on étudie les-maîtres, plus il devient difficile de trouver quelque règle précise en cette matière. Quand l’expression doit être vive, franche, énergique, le peintre rapproche instinctivement les couleurs complémentaires, le blanc et le noir, le rouge et le vert, l’orangé et le bleu, le jaune et le violet. Quand il veut employer trois couleurs, il les choisit de telle nature qu’elles divisent à peu près par tiers l’échelle du prisme ; on