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ne prêta nulle attention aux insinuations perfides du vieux général aux abois. Celui-ci eut le désagrément de voir notre traité apporté en grande pompe au palais. L’échange des ratifications s’opéra solennellement. Le chef d’état-major de l’amiral de La Grandière, venu de nouveau à Houdon, exprima le désir de se rencontrer avec lui ; il refusa maladroitement l’entrevue. Tout le monde en conclut qu’il avait peur d’une explication publique, preuve évidente qu’il ne se sentait pas sans reproche. Phnéa-rat se décida enfin à nous laisser maîtres du terrain ; il quitta Houdon le 25 avril. Le poste de ministre de la justice dans son pays devait le récompenser de ses services et le consoler de sa défaite. Le pavillon siamois fut amené pour toujours au Cambodge, et rien ne s’opposa plus dès lors au départ de la petite garnison française, dont la présence pouvait inquiéter la population.

Lorsque le roi de Siam vit revenir son mandarin favori, l’homme en qui il avait placé toutes ses espérances, il comprit que, le principal étant perdu, il ne fallait pas s’obstiner sur un détail. Il eut le mérite de s’exécuter de bonne grâce, et leva tous les obstacles au couronnement en restituant la couronne. Le 26 mai, l’Ondine quittait Saïgon et emportait au Cambodge, avec une nouvelle mission française, le mandarin siamois Phya-montrey-suriwan. Celui-ci, par l’étendue de son esprit, par la courtoisie de ses manières, fit heureusement oublier son insolent prédécesseur, sur lequel il ne se fit pas faute de rejeter ce qu’il y avait d’odieux dans la politique siamoise. Ainsi les efforts désespérés d’un adversaire qui avait failli nous arracher la victoire étaient publiquement désavoués. Phnéa-rat, revenu à Houdon avec Phya-montrey et confondu dans la foule, dévorait son humiliation en mâchant silencieusement son bétel. Rien ne manquait à notre triomphe. L’envoyé siamois désirait placer lui-même la couronne sur la tête de Norodom ; le chef d’état-major de l’amiral de La Grandière s’y opposa. Phya-montrey offrit alors de la prendre chacun d’un côté ; M. Desmoulin déclina encore cette proposition, et fit adopter la marche suivante : il recevrait la couronne des mains du Siamois, et la présenterait au roi, qui s’en ornerait le chef lui-même, tout comme Napoléon à Notre-Dame. Quand il sentit enfin bien fixée sur sa tête cette couronne qui s’était évanouie si souvent au moment où il croyait la saisir, Norodom, oppressé par le bonheur, exprima le désir de saluer son puissant protecteur l’empereur Napoléon III. Il fit quelques pas vers l’Occident, et, portant la main à sa couronne pour imiter M. Desmoulin, qui ôtait son chapeau, il répéta les inclinations profondes qu’il voyait faire devant lui. Alors Phnéa-rat, indigné, fendit la foule, réclama des saluts à l’adresse du roi de Siam, et, se précipitant la face contre